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The Witcher 3 : l'interview de Simon Besombes (CDProjekt Red)

Par Sullivan
8 août 2014
The Witcher 3 : l'interview de Simon Besombes (CDProjekt Red)

Rencontré au hasard des allées de la New York Comic Con, Simon Besombes fait partie de ces frenchies qui ont décidé de s'expatrier pour vivre de leur passion. Plus malin que les autres, Simon a choisi de s'installer en Pologne pour y découvrir l'ambiance des studios de CDProjekt Red, une entreprise aussi rare que précieuse dans la colossale industrie du Jeu Vidéo.

S'attachant à faire les choses différemment et surtout à réfléchir autour d'un art qui, on le rappelle, a toujours existé comme un produit, CDProjekt s'est notamment engagé dans la lutte contre les DRM et contre toutes les formes d'abus éditoriaux qui sont légion dans un milieu malheureusement d'avantage géré par ses actionnaires que par ses créateurs. 

Immersion au sein de Varsovie, en compagnie de votre guide privé :

• Hello Simon ! Avant tout, merci de prendre ton temps pour nous raconter la vie au sein de CDProjekt, ainsi que ton parcours. En tant que développeur Français, comment s'est passée ton arrivée en Pologne ?

Salut ! Je suis un "3D Artist" , et cela fait bientôt 2 ans que je travaille chez CD PROJEKT RED. J'ai travaillé dans des studios tels que Grin en Suède, Codemasters, Climax en Angleterre et quelquefois en freelance. Le métier veut que l'on change assez souvent de job entre les studios qui ferment, ceux qui ouvrent et les licenciements massifs après un projet infructueux. On a une vie assez nomade du coup, ça fait voyager !

Après le projet annulé Black Cloth (reboot de Legacy of Kain) chez Climax, j'ai été à la recherche d'un autre job. J'ai eu le choix entre plusieurs studios:  Sony, Ubisoft Reflections, Crytek UK...

J'ai finalement choisi CDPR, étant plutôt surpris qu'ils soient intéressés par mon CV. J'admirais beaucoup le travail des artistes du studio, qui ont sûrement fait le plus beau RPG du marché avec The Witcher 2. J’ai aussi été attiré par leur côté indépendant; J'ai l'impression qu'ils savent bien mener leur barque. Ils respectent le public avec des jeux de qualité, et ce dernier le leur rend bien. 

Sous ses airs a priori austères pour le Français que je suis, la Pologne est un pays où il fait bon vivre. On peut se loger très confortablement et le coût de la vie est vraiment pas cher. Sans oublier que les locaux valent largement le détour !


(c) photo : Polygon

• Nous sommes en Août 2014, le jeu s'est avéré être l'une des stars de l'E3 il y a quelques semaines mais quelques jours après, un leak assez dramatique impliquant la fin et les rouages du jeu est apparu sur la toile. Comment avez-vous géré cet incident en interne ?

C'est arrivé un dimanche : j'ai été réveillé en sursaut par un message sur Facebook d'un de mes collègues de travail m'invitant à regarder un post sur Reddit. Après lecture, j'ai eu une grande inquiétude pour la suite du projet puisque des informations sur la fin du jeu ont été divulguées. 

Heureusement, grâce à la bonne réputation de la boîte, nos fidèles fans ont grandement aidées à minimiser les dégâts d'une telle fuite. À part une réactivation des e-mails du boulot, Le lendemain fût en fait assez normal de notre côté, nous les artistes, mais j'imagine qu'il n'en allait pas de même pour les Relations Publiques ainsi que les IT… 

Cette expérience angoissante sur le moment est au final encourageante pour la suite de nos projets, surtout en voyant le soutien des joueurs.

• CDProjekt est très proche des questions les plus délicates de l'industrie, telles que les DRM, les DLC et les abus classiques des gros éditeurs. C'est quelque chose dont vous parlez entre employés ?

Bien entendu ! C'est une des raisons pour laquelle je suis content de travailler ici. Voir un studio Polonais prospérer dans un marché très concurrentiel sans avoir a à abuser financièrement des joueurs pour faire du chiffre est assez agréable. Ça donne à tous ceux qui font partie de CDPR un sentiment de fierté et une motivation supplémentaire. C'est à vrai dire l'une des raisons qui ont poussé la plupart d'entre nous à venir ici: nous sommes avant tout animés par la volonté de développer un bon jeu et non par l’appât du gain.


L'un des environnements créés par Simon, sublimé par un screenshot officiel.

• Et par rapport à tes expériences dans le passé, qu'est ce qui fait de CD Projekt Red un studio unique ?

Par rapport aux autres studios, de mon point de vue d'artiste, les vétérans ayant travaillé sur The Witcher 1 et 2 sont très exigeants et ont une vision pointue de ce qu'est un univers médiéval, affinée par les deux titres précédents et plus de 10 ans d’expérience.

La direction artistique puise largement dans la culture de la Pologne, par exemple des peintres slaves pour les scènes bucoliques. Même l'OST est très typique, un groupe local (Percival) composant la musique avec nous. C'est ce qui donne à The Witcher sa patte unique comparé à d'autres jeux du même genre.

Atteindre un tel résultat n'est pas facile et demande des décisions habiles et courageuses de nos lead environment et character. Pour nous c'est aussi beaucoup de temps passé à peaufiner les moindres détails.

Une journée typique chez CD PROJEKT RED commence par un meeting avec les autres artistes, les quest designers, les scénaristes ainsi que les producteurs pour planifier ce qui doit être fait. On vérifie si tout est cohérent, fidèle à l’histoire et respecte l'univers, ce qu'il faut corriger ou améliorer.

On passe ensuite le reste de la journée à travailler sur ce qui a été prévu, que ce soit un asset, une zone de l'open world, un village ou un donjon par exemple. Il est fréquent de s'entretenir avec les quests designers ou notre lead tout le long de la journée pour être certain que tout leur convient. En fin de journée on prend des screenshots de notre travail et on les partage avec le reste de l’équipe pour attester de la progression et s'inspirer de ce qu'ont produit les autres artistes.
Après une journée de dur labeur, on se retrouve autour d'un bon jeu de plateau/RPG papier/wargame/jeu vidéo/bière : au choix. :) On a pas mal de gamers old school ici, moi inclus.


Travailler chez CD Projekt Red, c'est profiter de séances privées de Guardians of the Galaxy avec ses collègues, au boulot, par exemple.

• Étant donné que The Witcher 3 est le dernier épisode de la saga et qu'il se déroule après les romans de Spakowski, l'auteur vous a-t-il aidé à raconter la fin de l'histoire ou est-ce quelque chose qui est 100% CD Projekt ?

Mr. Sapkowski est un écrivain; Il a créé un personnage riche, fantastique et intéressant, Geralt of Rivia. Nous voulons aussi créer un jeu riche, fantastique et intéressant. Voila comment CDPR voit les choses: même si Mr. Sapkowski est un grand écrivain, il n'est pas game designer, et nous le sommes. Aussi, il n'a jamais été intéressé pour designer le jeu avec nous. Voila pourquoi nous n'avons jamais coopérer a ce niveau là.

• À une période où toutes les licences essayent de s'étendre grâce au transmedia le plus spectaculaire avec la TV, le ciné' et les jeux vidéo et où les gameplays ont tendance à s'uniformiser, vous-êtes vous sentis obligés de coller à ce qui faisait dans l'industrie pour plaire à vos actionnaires, ou avez-vous essayé de faire abstraction de ces données ?

Depuis toujours, la série The Witcher a privilégié la qualité de son écriture et la cohérence de son univers, typique des RPGs à l'ancienne tout en s’efforçant d’être au top visuellement parlant. Ces qualités ne changeront pas pour cet épisode.

Mais il est vrai que le level design était assez fermé et manquait de liberté. La série a donc progressé avec un monde ouvert vaste et riche, une exploration intensive, inhérente aux jeux actuels mais sans le côté artificiel et la répétitivité trop souvent présente. Notre objectif en créant The Witcher 3: Wild Hunt est de combiner le meilleur des deux : une histoire riche dans un monde vaste et fascinant.

Par exemple Novigrad, une ville inspirée par Amsterdam à l’époque médiévale, ou les Terres désolées, une contrée d'inspiration slave, ravagée par la guerre. Ma région préférée est l'archipel de Skellige, d'inspiration nordique qui me rappelle la Suède et l'Islande, une de mes destinations favorites.


L'immense Novigrad et sa fumée typique.

• Non pas que nous ayons envie de faire vivre l'éternel débat, mais est-ce mieux de jouer à The Witcher sur PC ou sur consoles ?

L'objectif recherché est de pouvoir partager la même expérience de jeu sur toutes les plateformes où le titre sortira. A titre personnel, je suis plutôt un joueur PC que console, même si je me régale sincèrement sur les deux.

The Witcher 3, sortie le 25 Février 2015 sur PS4, Xbox One et PC.