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Utopiales 2014 : L'interview de Michael Moorcock (Elric)

Par Alfro
7 novembre 2014
Utopiales 2014 : L'interview de Michael Moorcock (Elric)

Les Utopiales sont toujours l'occasion de rencontrer des auteurs de premier plan pour les cultures de l'imaginaire.

L'édition de cette année nous aura permis de faire la connaissance de Michael Moorcock. Cet auteur anglais va mettre en place le principe de Multivers dans Elric, qui n'est qu'une incarnation du Champion Éternel, Guerrier de la Lumière que l'on retrouve à travers les âges et les mondes. Le romancier ne s'est cependant pas limité au genre de la fantasy et en véritable touche-à-tout littéraire, il aura propagé sa vision humaniste sur de très nombreux ouvrages.

Nous remercions Fabrice pour son expertise sur l'œuvre de Michael Moorcock, ainsi que Dylan pour sa traduction de l'extrême.

• Michael Moorcock, l'interview •

Alfro : Vous êtes notamment auteur de fantasy, et nous avons pu voir ces dernières années le développement de cette forme de littérature, notamment sur grand écran avec Peter Jackson, ou sur le petit avec Game of Thrones, que pensez-vous de tout cela ?

Michael Moorcock : Je n’ai qu’une espèce de vue générale sur tout ça. Je n’ai pas vu d’épisodes de Game of Thrones. Bon, j’en ai vu deux. Je crois aussi avoir vu un des Seigneur des Anneaux, et un Hobbit. Donc je n’en ai pas tant vu en réalité. De mon point de vue, cela veut dire que, à partir du moment où Le Seigneur des Anneaux a été fait, les effets spéciaux n’étaient plus ce qui racontait l’histoire. Avant, l’histoire dépendait principalement des effets. C’était la partie la plus coûteuse, donc ils avaient tendance à adapter l’histoire de manière à ce qu’elle colle à leur capacité de production.

Après ça, on a compris que la fantasy, l’imaginaire, pouvaient aider à raconter cette histoire. Et je crois que c’est la meilleure chose qui ait découlé du Seigneur des Anneaux. Une partie du problème, dans tout ce qui devient populaire, c’est généralement que la popularité s’accroît avec l’éloignement du matériau et de l’essence d’origine, avec l’objectif d’avoir l’audience la plus large possible.

Il y a vraiment peu de Best Sellers qui sont vraiment sombres ou sérieux. C’est généralement ce qui pourra plaire au plus grand nombre. Je ne vois pas ça comme une bonne chose, même si ça peut l’être. Par exemple, avec 2001, l’Odyssée de l’Espace, les gens ont commencé, pendant un bref moment, à accepter la SF comme quelque chose de sérieux, d’adulte. Donc c’était très bien.

Il y a à peu près 10 ans, c’était vraiment une assez bonne période, ou les éditeurs publiaient des écrits très bons, sérieux et complexes. Et puis Star Wars est arrivé, ramenant tout ça à un niveau très infantile. Attention, je n’ai rien contre Star Wars, je les ai vu, j’ai été forcé de les voir avec mon fils, et même plus d’une fois pour un épisode, puisque je travaillais à l’époque avec un éditeur qui n’arrêtait pas de me le montrer. Mais c’est une autre histoire.

Donc mon problème avec la popularisation de la SF, de la Fantasy – Je sais que vous avez mentionné la Fantasy, désolé d’avoir utilisé la SF comme exemple – est qu’il semble nécessaire, malgré 2001, d’ajouter un élément juvénile fort pour les rendre populaire.
Et pourtant, j’adore la pop SF ! Je veux dire, j’adore, encore lire Planet Stories, Startelling Stories, Thrilling Wonder etc. Donc ce n’est pas que je n’aime pas ce genre de SF, mais ça nous ramène aux années 80, de mon point de vue, pour le spectateur et par le producteur. Vous le savez, souvent dans la SF/Fantasy à l’écran, une grosse partie du temps et du budget sont consacrés aux explosions. Franchement, je ne crois pas pouvoir tenir encore un film avec des milliers de voitures qui explosent, je deviendrais fou. Le problème, c’est que quand les commerciaux trouvent une formule qui fonctionne une fois, ils continuent d’utiliser cette formule. Le bon point de Game of Thrones, à mon avis, est la forme plus ouverte que la série prend, et que les commerciaux n’arrivent toujours pas à complètement comprendre.

C’est arrivé dans les années 60/70, à un moment où on ne savait pas ce qui allait se vendre ou non, et ça a donné lieu à quelques auteurs qui ont pu faire ce qu’ils voulaient et être publiés. Ces écrivains existent toujours, mais c’est juste plus difficile d’être publié.
Donc voilà, je n’ai pas d’avis tranché sur la question. Je suis sur le point de signer un contrat pour adapter Elric en série TV.


Sullivan : C’était ma prochaine question.

Moorcock : Et bien j’aime l’idée, le potentiel, puisqu’ils devraient faire un sacré travail de réécriture, s’ils utilisaient, et je suis sûr qu’ils le feraient, la même formule, structure, pour l’adaptation d’Elric que celle qu’ils utilisent pour The Walking Dead – En l’occurrence ce sont les producteurs de The Walking Dead qui veulent signer Elric – mais cela ne veut pas dire grand-chose, ce sont juste des pros qui font leur travail, ils sont enthousiastes.

Moi ce qui m’intéresse, c’est de savoir s’ils développent bien les personnages, ou s’il y a un problème avec cette partie. Une fois que j’ai signé, je n’ai plus de contrôle sur ce qui en ressortira. [Les producteurs] te disent que tu as ton mot à dire dans tout ça, mais c’est faux. Tu fais des réunions avec ces gens qui te disent vouloir tout faire comme toi tu l’imaginais, mais au fond tu sais que c’est faux, ils veulent le faire à leur manière et avec ton approbation. Et comme ce qu’ils te demandent d’approuver, c’est de te faire couper les couilles, en général tu as un problème avec ça. Je vois ça comme, c’est possible, une issue potentielle à cette collaboration. Ou pas d’ailleurs, si on prend Game of Thrones comme modèle et qu’on se concentre bien là-dessus, ça pourrait marcher. De toute façon, je serai peut-être mort d’ici là, puisque tout le processus prend énormément de temps. En tout cas, j’espère que ça vous plaira.


Fabrice : Vous nous avez parlé de Game of Thrones ou des séries du même genre, mais que pensez-vous des séries de John Boorman, ou tenant de l’héritage de Von Beck ?

Moorcock : Boorman a voulu racheter Le Champion Éternel, il y a quelques années, et j’avais en plus une productrice très enthousiaste envers le travail de Boorman. Mais je lui avais dit, avant même qu’elle ne le contacte, que ce serait n’importe quel réalisateur, sauf John Boorman, parce lui et moi sommes en fait assez éloigné en terme de politique : il est très à droite, et je suis très à gauche, je ne voyais pas comment ça aurait pu fonctionner. J’ai aimé regarder ses films, mais je pense simplement que l’entente aurait duré à peu près deux jours.

Fabrice : Encore à propos de la Saga Von Beck, je suis très fan, c’est une littérature riche en poésie, en philosophie. Combien de temps passez-vous à penser à cela ? De quoi vous inspirez vous ?

Moorcock : Les influences sont très larges, ça commence par tout ce que j’ai pu lire ou regarder. Je crois qu’il y a un bouquin d’Aldous Huxley, Philosophie Éternelle, que j’ai lu quand j’étais très jeune, et qui essaie de montrer la transmission d’idées entre cultures, le fait que les mêmes idées philosophiques apparaissent à plusieurs endroits de la planète.

Fabrice : Cloud Atlas des frères Wachowski m’a beaucoup rappelé votre œuvre Breakfast in the Ruins. Qu’en avez-vous pensé ?

Moorcock : Et bien quand nous sommes allé au cinéma avec ma femme, je n’avais aucune idée de ce que j’allais voir, je n’avais pas lu de critique ou quoi que ce soit à propos du film. Donc nous y sommes allés par curiosité, et j’ai adoré.

C’était un film merveilleux, qui je pense, méritait d’être bien mieux distribué qu’il ne l’était alors. Mais bon. Ma femme et moi aimons parler autour de nous des films que nous avons aimé, mais souvent on se rend compte que ce qu’on pensait pouvoir plaire à tout le monde n’est pas si populaire que ça.

J’ai aimé quasiment tous les aspects du film. Ça m’a pris du temps, parce que je n’ai compris qu’après un moment que si peu d’acteurs jouaient autant de rôles, et la morale que j’y ai vue… Pour moi, j’aimerais que ce film soit un modèle, si on adaptait mon travail à l’écran.


Sullivan : Vous êtes un auteur définitivement différent, qui puise son inspiration dans une littérature de niche et pourtant, vous êtes l'un des plus gros succès littéraire du siècle dernier en Angleterre, grâce à votre adaptabilité dans le style. Quelle image pensez-vous dégager aujourd'hui à travers cette aura un peu particulière ? 

Moorcock : Encore une fois, c’est la même chose. Il y a deux points : si j’étais resté à écrire des livres sur Elric, ou même juste de la littérature Fantasy, le marché serait clair à propos de qui je suis. Mais ils ne savent jamais.

Occasionnellement, disons quand je sors un livre « littéraire » - opposé aux livres de genre –, les critiques disent ‘’Moorcock a fait un livre trop littéraire, il a laissé la SF sérieuse derrière lui’’, et bien sûr celui d’après est trop marqué au niveau du genre, pas assez littéraire. Donc ils ne devraient pas trop utiliser cet argumentaire, mais ils le font.

C’est ce qui arrive à chaque fois. Quand j’écris un livre avec de base une idée littéraire, je fais un livre de littérature, et de même pour un livre de genre. C’est ma façon de travailler et je trouverai ça stupide de faire autrement Je veux dire, j’essaie de mélanger les deux au mieux, d’ajouter du sérieux à la Fantasy, et du décalé à la littérature. Mais fondamentalement, ces livres sont toujours des échappatoires, et c’est ce pourquoi les gens les lisent.

Je crois que c’est parce que je représente, pour la critique littéraire, quelque chose d’ambigu. Le Times m’avait un jour rangé dans un classement stupide des 50 meilleurs auteurs. C’était ridicule, je peux vous citer dix auteurs bien meilleurs que moi qui n’y étaient pas.

Je pense qu’ils me voient comme un barbare, quelque chose qui doit être maîtrisé, mais ils ne savent pas à quel point. Ça m’arrivait déjà quand je faisais une conférence en Université, les académiciens essayaient de m’attirer, ils me voyaient je pense comme un exemple de vitalité. Un sauvage naturel. Au fond, tout ce qu’ils voulaient, c’était mes ventes. Et quand je me sentais triste, je me souviens que j’allais voir en magasin, et que je cherchais les livres d’un ami qui écrit de la littérature, et ils sont difficiles à trouver. Alors que les livres de genre eux étaient surreprésentés. Et ils veulent ces ventes, mais ce n’est pas comme cela que ça fonctionne. Par exemple, Michael Chabon a écrit un roman de SF, et il s’est rendu compte que ses ventes étaient très basses, parce que ce n’est pas ce à quoi le public s’attendait. Il n’était pas « le bon écrivain », celui qu’on attendait. C’est dommage que les gens n’aiment pas ça.


Fabrice : Vous dites avoir beaucoup aimé la saga Pulse. Que pensez-vous de l’édition digitale, des nouvelles pulse-sized. Aimeriez-vous écrire dans ce format ?

Moorcock : Je l’ai déjà fait une fois ou deux aux Etats-Unis. En fait, j’avais une collection d’histoires, appelées seulement « Pop », qui sont mon hommage personnel des formes variées de pop fiction, pas seulement la SF, les histoires d’aviation, les westerns, etc, j’en ai fait un tas. Donc oui en fait c’est même quelque chose que j’ai déjà fait.

Sullivan : Dernière question, un peu générique, avez-vous des livres, qui ont changé votre vie, votre manière de voir les choses ?

Moorcock : Mhhh, pas tant que ça, en fait. Mais le premier livre à m’impressionner, était religieux. Je viens d’une famille complètement athée. Donc tout mon intérêt pour la religion de construisait de manière abstraite, par la lecture. Mais le premier livre, que j’ai acheté avec mon argent, s’appelait The Pilgrim’s Progress par John Bunyan. C’est un des premiers livres protestants, pour lequel l’auteur je crois a été mis en prison. En tout cas c’était simplement une allégorie religieuse du voyage, avec toutes les étapes et péripéties, en partant de la cité de la destruction, chez lui, jusqu’à la cité céleste de Sion. C’est un livre plein de qualités, mais très honnêtement je l’avais acheté parce que sur la couverture il y avait le dessin d’un dragon.

Ce que ce livre m’a appris, c’est qu’il y a toujours plusieurs niveaux de lecture et d’écriture, et qu’il ne faut jamais se borner à un seul. J’ai grandi avec cette idée en tête. Un autre auteur qui m’a inspiré, qui n’est en fait plus lu en Angleterre, mais qui, à son époque, était considéré comme le meilleur écrivain anglais depuis Shakespeare, et qui après cela a plus ou moins disparu pour la société moderne. Son nom était Georges Eliot , et il fait partie de ces auteurs connus de nom, mais presque jamais étudié puisque écrivain avec un style trop "compliqué", et je pense qu’une partie des raisons de sa disparition du registre moderne est qu’il ne rentrait pas dans le canon culturel anglais des modernistes. Cela peut s’expliquer, à un moment dans l’histoire, les académiciens anglais ont défini ce qu’on appelle The Great Tradition, qui reprenait les grands auteurs anglais, et laissait de côté les autres. Charles Dickens y est par exemple. Le problème est qu’ils ont beaucoup plus exploité les noms d’auteurs du 18ème plutôt que du 19ème. Et au final, des auteurs comme George Eliot ont cessé d’être lus. C’est la seule explication pour moi.

C’était aussi un des premiers auteurs masculins consciemment féministes. Je me souviens que les personnages de femmes étaient intéressants, et qu’ils faisaient avancer l’intrigue, je trouvais ça très enthousiasmant.


[Ndt : Ce que Michael Moorcock semble ignorer, c’est que George Eliot était le nom de plume d’une femme, Mary Anne Evans, à la manière de George Sand.]

C’est probablement mon auteur du 19ème préféré. De nos jours, en tout cas au 20ème siècle, j’ai adoré des auteurs qui ne font justement pas partie de cette tradition anglaise, des auteurs tels qu’Albert Camus, Samuel Beckett ou Janet Ayer Fairbank.