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Édito #28 : Que mangerons-nous dans le futur ?

Par Alfro
1 décembre 2014
Édito #28 : Que mangerons-nous dans le futur ?

Quand on imagine le futur, on s'amuse forcément à rêver de voitures volantes, de voyages galactiques aussi simples qu'un trajet en train ou de grandes avancées médicales. Mais si l'on devait imaginer ce qu'il y aura dans notre assiette dans une vingtaine d'années ? Après tout, se nourrir est quelque chose d'aussi crucial que de respirer. Nos habitudes alimentaires ayant déjà bien changé ces dernières années, se projeter dans les cuisines de demain n'est pas un exercice des plus évidents. Il faut alors regarder où l'on en est aujourd'hui, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a une mouche dans la soupe.

Premier constat, nous n'achetons plus des aliments mais des produits. La nourriture manufacturée est devenue la très grande majeure partie de notre alimentation, des simples olives dénoyautées aux plats préparés les plus complexes, les rayons des grandes surfaces sont remplis de produits labellisés d'un nombre de marque impressionnant. Sauf que derrière ces multiples logos colorés ne se cachent en fait que quelques immenses groupe agro-alimentaires, des multinationales qui contrôlent presque l'ensemble de ce que l'on mange.

Nestlé, Pepsi, Unilever, Coca Cola, Danone ou Kraft. Le gang de la nourriture mondialisée. Une main-mise sur l'industrie alimentaire que l'on décrit sous le phénomène de convergence, où petit à petit seules quelques mégacorporations vont s'emparer de l'ensemble du marché. Ce n'est pas réservé à l'agro-alimentaire, on observe le même phénomène dans tous les secteurs, comme celui du divertissement où Disney, Vivendi et Warner se partagent 70% de la production à eux trois, la différence étant qu'aller au cinéma ne nourrit pas votre cancer contre quelques euros. Des entreprises qui ne cessent de grossir et qui ont acquis un tel pouvoir, financier mais aussi politique, quelles sont devenues les égales des États. Le lobbying fait qu'elles influent bien plus sur notre existence que les élus que nous avons mis en place et qu'elles vont influencer derrière à grand renfort de dollars. Ainsi, lors des dernières élections américaines, Kraft a dépensé plus d'un demi-million de dollars pour financer la campagne des candidats des deux camps (histoire de les avoir dans la poche, qu'importe le résultat des urnes qui ne devient plus qu'une formalité).

Les hommes politiques ainsi mis en place ne sont plus que des pantins aux ficelles faites de pots-de-vin qui ne peuvent plus vraiment faire ce pourquoi ils ont été élus. On se rappelle ainsi qu'en 2005, le gouvernement français qui devant le constat d'une obésité galopante parmi ses jeunes administrés avait décidé de passer une loi qui interdirait tout distributeur automatique de sodas et grignotage dans les établissements scolaires et informerait de la dangerosité des aliments type junk food. Après une petite réunion avec les représentants de ces multinationales de l'alimentation et cette loi n'était plus qu'un souvenir brumeux. Un impact sur la politique qui peut-être dangereux chez nous, carrément meurtrier dans les pays en voie de développement qui doivent souvent faire face à une corruption encore plus élevée (ou moins bien cachée).

On se rappelle de la sombre affaire du lait maternel en poudre de Nestlé. En effet, dans les années 70, l'entreprise suisse décide de faire en sorte de promouvoir son substitut de lait maternel en publiant une étude britannique qui prouvait la supériorité de celui-ci sur le lait maternel naturel, surtout dans les pays ne bénéficiant pas d'eau potable en grande quantité. Ils iront même jusqu'à financer des cliniques qui feront la promotion de leur produit. Après que l'UNICEF ait apporté la démonstration que c'était une publicité plus que mensongère et avoir estimé que plus d'1,5 millions d'enfants étaient morts dans les pays pauvres des carences subies face à ce mauvais régime, l'Organisation Mondiale pour la Santé a interdit à Nestlé de faire la promotion du lait en poudre. Bien que Nestlé ait ratifié cette décision, et que la preuve ait été apportée qu'ils connaissaient très bien les carences que pouvaient engendrer leur lait de substitution, ils ont été plusieurs fois été accusés de ne pas suivre ce code.

Cette convergence des géants de l'agro-alimentaire ne se fie donc pas aux lois. Humaines ou universelles. Pour le premier, nous pourrions énumérer sans cesse les abus sociaux, délocalisations et travaux forcés qu'ils commettent, mais il suffit d'allumer la télé pour les voir faire bien pire. Ainsi, dans le Complément d'Enquête du 27 novembre dernier (la télé s'allume alors que mon esprit est encore dans les brumes de la Paris Comics Expo et d'un affrontement avec la SNCF que Goliath n'emportera pas au paradis), consacré à la malbouffe, on découvre après un sujet tape-à-l'œil sur la mort de Rémi Fraisse, un reportage consacré à l'industrie de la crevette en Asie du Sud-Est. Dans celui-ci, un homme raconte son histoire. Celle d'un homme qui trop pauvre s'est constitué esclave et a été vendu à un bateau de pêche qui le fera travailler 18 heures par jour pendant trois ans. À ce régime, on comprend qu'il ait cherché à s'évader. Ce qui sera une très mauvaise idée puisqu'il sera rattrapé. Les chaînes au cou et aux poignets, il restera lié au mât sans être détaché ni nourrit durant des jours, et ne devra son secours qu'à un navire qui croisait pas loin qui l'aperçut enchaîné à son rondin d'infortune. Le journaliste démontre ensuite que les crevettes pêchées par des gens capables d'infliger cela se retrouvent dans les travées de nos Carrefour.

Le pire ici, c'est qu'il ne s'agit que d'épiphénomène. Tout le contraire de Monsanto, chez qui se fournissent les entreprises suscitées, géant terrifiant de la biotechnologie, comprenez les OGM. Entre multiples polémiques les entourant, comme le fait qu'ils aient acheté Blackwater (société militaire privée qui fut la principale sous-traitante de l'armée américaine durant la Seconde Guerre du Golfe), la pire reste sans doute celle de la technologie "Terminator". Pas d'Arnold Schwarznegger ici, il s'agit ici d'une technologie qui rend stériles les graines de seconde génération. Ils affirment avoir fait ceci pour protéger leurs semences brevetées (oui, la nature peut-être brevetée !) du piratage. Ils avaient une autre application en tête. Ils offrirent des graines de blé munies de cette technologie à des paysans africains, qui remplacèrent leurs champs de manioc par cette manne venue du ciel. Première surprise, les champs ne pouvaient plus retourner à leur culture originelle après qu'on y est planté ces graines. La seconde était encore plus "croustillante", après la première récolte découvrirent avec stupeur que les graines de seconde génération ne laissaient rien pousser et qu'ils devaient désormais acheter chaque année leur lot de semence à Monsanto. Un cadeau amer.

Nos assiettes alors ? Celles d'aujourd'hui ne sont déjà pas bien brillantes. Reste à savoir ce que l'on mettra dans celles de demain. Car à laisser les choses aller à ce rythme, Soleil Vert pourrait vite devenir une œuvre prophétique. Qu'adviendra-t-il le jour où plus aucun aliment ne sera pas manufacturé, où plus aucun produit de base ne sera passé par une suite de brevets, où les seules entreprises agroalimentaires restantes seront des multinationales si opaques qu'elles pourront enchaîner des hommes à l'autre bout du monde sans que l'on sourcille et qu'elles balaieront les polémiques environnementales d'un revers cynique ? Il ne faudrait pas oublier de manger, comme l'on oublierait de respirer ou de réfléchir.


Édito #28 : Que mangerons-nous dans le futur ?