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Isabella Mazzanti (Carmilla) : l'interview

Par Elsa
10 décembre 2014
Isabella Mazzanti (Carmilla) : l'interview

Si la collection Métamorphose chez Soleil compte beaucoup de très belles bandes dessinées, elle publie aussi des versions illustrées d'oeuvres littéraires qui valent le coup d'oeil. Carmilla, sous le trait délicat d'Isabella Mazzanti, est paru il y a quelques semaines.

Ce roman de Le Fanu est un monument de la littérature vampirique. Cette nouvelle édition lui offre un écrin à sa hauteur, mis en image et sublimé par les illustrations étranges, oniriques et teintées d'érotisme de la dessinatrice. Donnant l'impression de plonger dans un livre ancien, Carmilla nous invite à la découverte d'une histoire d'amour tragique silencieuse, troublante et douloureuse. 

La dessinatrice Isabella Mazzanti vous en dit plus sur son travail sur ce très beau livre, et son rapport au conte de Le Fanu.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Je suis illustratrice freelance. Je vis en Italie, mais suis d'origine polonaise du côté de ma mère (d'où mon nom de scène Isa Bencewisz). Après avoir terminé mes études en littérature et en histoire de l'Art au Moyen-Orient, et avoir vécu un an en Chine, j'ai passé une maitrise en illustration pour l'édition, et c'est comme ça que ma carrière a commencé.
 
J'ai toujours aimé le dessin. Devenir une artiste était mon rêve enfant, et au fond de moi je savais que je le réaliserai un jour.

Comment est née l'idée d'illustrer Carmilla ? 

Mon éditrice Barbara Canepa m'a contactée pour que je lui propose un titre pour la belle collection Métamorphose. Mon style, ma technique en noir et blanc, étaient idéaux pour un conte gothique. Nous avons sélectionné ensemble des titres adaptés à mon univers graphique, et à la fin le choix est tombé sur Carmilla, qui était un de mes contes préférés quand j'étais adolescente.
 
C'est un conte vampirique classiqué, écrit à la fin du XIXème siècle, mais qui a conservé toute sa puissance. J'ai voulu le faire redécouvrir au public à travers la collection.

Comment résumeriez-vous Carmilla ? 

C'est d'abord une histoire d'amour interdite entre deux créatures venues d'univers différents, mais qui sont inévitablement et inexorablement attirée l'une par l'autre.
 
D'un côté Laura, qui incarne l'idéal féminin dans la littérature italienne classique. Une fille angélique et immaculée comme la Laura de Pétrarque (Francesco Petrarca, auteur italien du XIVème siècle) et du Dolce Stilnovo (courant littéraire italien de l'époque), qui vit une existence solitaire avec son père en Styrie.
 
De l'autre, Carmilla, aux origines mystérieuses. Sombre, séduisante, tragique. Elle représente une nouvelle féminité, obsédante et passionnée, qui gagne de plus en plus de terrain dans la littérature du XIXème siècle et que Munch dépeint bien dans sa peinture 'Le vampire'. Carmilla est 'la beauté qui fascine, et le plaisir qui tue'. 
 
Et le roman raconte le développement d'une histoire d'amour, qui évolue en même temps que l'horreur, avec, au point culminant, de la tragédie, au moins pour l'un des deux personnages.

Carmilla a-t-il une importance particulière pour vous ?

Il fut l'un des premiers contes gothiques que j'ai lu pendant mon adolescence. Je me souviens de nombreux après-midi d'hiver passés dans mon jardin à fantasmer Carmilla, son passé royal. je m'imaginais être elle, pour pouvoir m'échapper dans la nuit comme une ombre, ou une créature féline.

Comment s'est passé votre travail sur ce livre ?

Ca a été un travail très long, qui m'a pris plus d'un an et demi. J'ai commencé à regarder les personnages, à faire des recherches sur le style et l'atmosphère que je voulais donner à l'histoire. J'ai beaucoup lu et étudié les illustrateurs du Golden Age (Rackam, Bauer, Dulac, etc) parce que je voulais que les illustrations aient une forte inspiration classique, en particulier dans l'élégance et la composition de la ligne. Je me suis ensuite mise au storyboard, en essayant d'alterner des illustrations descriptives et d'autres plus métaphoriques et évocatives, pour créer une histoire 'cachée' dans le texte.

Quelles techniques avez-vous utilisé sur ce titre ? 

J'ai principalement utilisé le crayon à papier et le fusain, puis j'ai ajouté les éléments rouges en digital. 

A-t-il été difficile d'imaginer ce duo d'héroïnes, ou vous sont-elles venues naturellement ?

Carmilla est un personnage fort, très marqué, avec de longs cheveux noirs, de grands yeux ombragés, le visage ciselé. Je voulais que cela apparaisse sans qu'elle soit trop féminine, qu'il y ait encore une adolescence évidente, un corps pas totalement épanoui, condamné à ne jamais apprendre la puberté et la sexualité accomplie, comme une lolita ante litteram.
 
Pour Laura c'était plus difficile, parce qu'elle a un caractère évanescent. C'est une sorte d'alter ego de Carmilla, une figure plus classique et stéréotypée. 

Comment vous est venue l'idée de vous limiter au noir et blanc, avec quelques touches de rouge ? 

J'ai choisi cette technique parce qu'elle me rappelle les gravures et illustrations du XIXème siècle, dans lesquels l'artiste utilise le noir et blanc avec l'ajout d'une seule couleur. Dans mon cas, j'ai choisi le rouge pour souligner la dimension du rêve et du conte surnaturel, et l'appel à la brutalité, le sang, typique des vampires. Le noir et blanc est aussi un rappel à la culture du cinéma horrifique du début XXème siècle, où le contraste entre ombre et lumière était fortement marqué et utilisé comme support à la narration. 

Est-ce impressionnant d'ajouter sa propre vision à une oeuvre littéraire aussi marquante ? 

Illustrer est toujours un travail d'adaptation. On doit être en mesure de trouver un bon équilibre entre son propre style et celui de celui qui raconte l'histoire. Cependant, l'alchimie qui en résulte peut être magique. J'espère avoir réussi ce sortilège. 

Quelles sont vos principales influences ? 

Comme je l'ai déjà dit, les artistes du Golden Age, mais aussi l'art de l'Extrême-Orient, que j'ai beaucoup étudié et aime profondément. L'imagerie de l'Europe de l'Est aussi, qui est dans mon sang, et souvent dans mes illustrations. 

Quels sont vos prochains projets ? 

Un recueil de contes de fée russes, et une adaptation en bande dessinée de Dracula... Un autre projet encore, mais il est secret !
 
 
 
 
 
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