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Édito #49 : la recette Game of Thrones, un cercle vicieux

Par Republ33k
8 juin 2015
Édito #49 : la recette Game of Thrones, un cercle vicieux

Si elle doit son existence sur les ondes de HBO à la passion de David Benioff et D.B.Weiss, qui n'étaient pas des noms si connus il y a cinq ans de cela, Game of Thrones est loin d'éviter les pièges qui sont tendus à toute série d'envergure et fortes d'un certain succès. La jeunesse, relative, de ses créateurs et la puissance des écrits de George R.R. Martin ne suffit à faire de Game of Thrones une série irréprochable, et à quelques jours de la fin de la cinquième saison du show, il était temps de revenir sur sa recette, qui chaque année, prend un peu plus la forme d'un cercle vicieux.

Avant toute chose, mettons de côté la question de la fidélité des romans de Martin. Suite au succès de la série, les sérivores et les fans de fantasy se sont emparés des écrits de l'auteur, au point de faire la chasse à toutes les différences entre la même histoire racontée par les deux médias. Des efforts passionnés mais vains à mes yeux, puisque l'intrigue change dès lors que ces mots sont remplacés par des images. Laissons donc ce sempiternel argument de côté pour mieux nous intéresser aux ficelles derrière le grand pantin de HBO.

Petite série devenue (trop) grande

Lorsque j'ai découvert Game of Thrones en 2011, son approche géo-politique et très sérieuse de la fantasy avait quelque chose de rafraîchissant, et de passionnant. Mais au fil des saisons, ce jeu de manipulations pour s'emparer du trône de fer s'est fait plus complexe. Et à chaque nouveau personnage ou chaque nouveau camp présenté, la série gagne en largeur, et met, mathématiquement, plus de temps à résoudre les différentes sous-intrigues qui nous font patienter en attendant l'ascension d'un candidat sur le trône de Westeros. C'est assurément le premier ingrédient mal choisi dans la recette Game of Thrones, qui a bien du mal à contenir son propos dans la limite du raisonnable. Un peu de challenge intellectuel ne fait jamais de mal, entendons-nous bien, mais encore faut-il qu'il repose sur une progression narrative et une mise en scène irréprochable. 

 

Et c'est ici que le bât blesse le plus. Avec 6 millions de dollars de budget minimum par épisode, la série Game of Thrones a, sur le papier, les moyens de nous divertir. Quitte à embrasser à pleine bouche l'aspect saga de l'œuvre de Martin, et sa finalité - savoir qui règnera sur le monde - autant rendre le voyage agréable. Seulement, à l'image d'un Tyrion qui cherche du vin dans un navire pour agrémenter son périple, je cherche toujours ce qui m'oblige à rempiler une fois le générique de fin tombé. A ses débuts, l'intrigue principale de Game of Thrones avançait assez vite pour créer l'addiction. Et le tout était porté par des acteurs au niveau particulièrement solide. Mais les années ont passé, la magie nous a quitté, et la multiplication des sous-intrigues nous prive de la satisfaction de voir le suspense prendre fin.

Se réaliser

Mais encore une fois, conformément à la philosophie des vases communicants, la série de Game of Thrones pourrait se tirer de ce faux pas, car il lui reste un atout de taille dans sa manche : la réalisation. De bons acteurs et de beaux décors ne suffisent pas, encore faut-il pouvoir leur rendre justice à travers un objectif. Et sur ce point, Game of Thrones ne s'élève pas à la hauteur de sa réputation et de sa popularité : sans être mauvaise, la réalisation est assez chiche et plutôt académique. Un constat plus amer que jamais en 2015, où les séries s'affranchissent toujours plus des canons de la mise en scène sur le petit écran (True Detective et Daredevil à l'appui). Sans même compter cette salle manie qu'on retrouve dans la série comme dans sa promotion, qui insistent toujours sur un élément précis - comme les fameux Sandsnakes lors de cette cinquième saison - pour travailler notre impatience, alors que le résultat est toujours décevant.

 

Game of Thrones cherche toujours à faire monter la mayonnaise. Dans cette optique, tous les coups sont d'ailleurs permis, de la promotion mensongère aux défauts typiques de la série, qui donne parfois l'impression de se saborder pour mieux nous surprendre. Une recette savamment répétée - qui n'est pas sans rappeler celle de Walking Dead et de l'apparition de ses Zombies, mais à l'échelle d'une saison - qui nous endort pendant quelques épisodes avant de nous offrir une ou deux révélations. Sommes-nous à ce point aveugles ? Lorsque les grands noms de l'entertainment américain commencent à parler du fameux neuvième épisode comme d'une tradition, ce n'est pas une victoire pour la culture populaire et ses fans. Il n'y a simplement plus rien à grignoter sur les os, et le squelette est donc mis à nu sans honte, comme si les créateurs de la série et les journalistes avouaient, d'un commun accord, n'être intéressés que par le final ou l'antépénultième épisode de chaque saison.

Cash is king

Car malheureusement, nous sommes tous complices, de près ou de loin. Les cadres de HBO et les responsables de Game of Thrones n'ont que trop bien compris l'impact de leur série, et semblent maintenant plus soucieux de leur buzz que de la qualité de leurs épisodes et de leur effet sur les spectateurs. Il ne s'agit plus de surprendre, mais de sur-vendre, en faisant de chaque maigre rebondissement un sujet d'importance mondiale. A croire que nous sommes rentrés dans un âge où l'épisode va directement de nos écrans à nos réseaux, sans passer par notre cerveau. A ce titre, je trouve que la série force son entrée sur le web 2.0, monétisant chaque nouvel excès de violence et chaque pied-de-nez aux écrits de Martin. Sans compter l'éternel débat sur les spoilers, qui nous gifle tous les ans, et qui maintient la série en vie sur des réseaux devenus terriblement éphémères. Un débat qui concerne tous les spectateurs et qui est donc d'autant plus rentable pour la petite équation derrière la série de HBO, qui a tout intérêt à occuper l'espace à sa disposition 10 semaines par an.

 

Malgré tout, les espoirs restent permis. D'abord car quelques soubresauts d'inspiration subsistent, en témoigne le final du huitième épisode - diffusé la semaine dernière - ou la construction plus conceptuelle de celui qui mettait en scène toute une bataille la saison dernière. Ensuite, car l'écart entre la série télévisée et les romans est peut-être une bénédiction. Certes, cela permet de tuer et de violenter encore plus de personnages, mais sur le papier, c'est aussi l'occasion de revoir le matériau original dès le scénario. Ne manque plus qu'une réalisation à la hauteur de ses moyens (inviter des réalisateurs connus pourrait être une solution) et Game of Thrones pourra alors mériter la place qu'elle prend sur les réseaux sociaux, les ondes et nos cœurs.