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Nos romans cultes #2 : Chants du cauchemar et de la nuit de Thomas Ligotti

Par -- David --
1 juillet 2015
Nos romans cultes #2 : Chants du cauchemar et de la nuit de Thomas Ligotti

Si vous avez vu la première saison de True Detective vous connaissez malgré lui Thomas Ligotti. À l’occasion de la diffusion de la nouvelle saison, retour sur le seul livre publié en France de cet auteur. 

« Cette nuit-là, nous rentrâmes dans nos maisons et restâmes aux fenêtres. Rien d’étonnant, donc, à ce que nous fussions si nombreux à voir celui qui erra dans la ville en cette soirée iridescente, se joignant à ses explosions, à ses réjouissances. Possédé par les extases d’un sombre festival, il marchait en transe, tenant à la main cet immense couteau rituel dont la lame aiguisée scintillait d’un millier de rêves. On le vit seul parmi les arbres, dont les couleurs brillaient sur lui, tachant son visage et ses hardes. On le vit seul dans les jardins de nos maisons, épouvantail rigide formé d’une mosaïque d’ombres. On le vit marcher à grands pas, en rythme, sous de grandes palissades à présent peintes d’une lueur tremblante. Pour finir, on le vit au carrefour de plusieurs rues, au milieu de la ville. »

Thomas Ligotti est un nouvelliste et un philosophe que l’on connaît pour avoir été l’objet d’une polémique l’année dernière. Nic Pizzolatto le créateur de la série True Detective l’avait plagié pour l'élaboration de son meilleur personnage de la série, Rust Cohle. Tous les propos philosophiques, nihilistes et antinatalistes qui sortaient de la bouche de Matthew McConaughey étaient influencés par l’essai de Ligotti : « The conspiracy against the human race. »

Cet événement a fait sortir de l’éther cet auteur comme un grand oublié de la littérature en France. Les éditions Dystopia réparent cette injustice par la publication d’une sélection de nouvelles intitulées Chants du cauchemar et de la nuit dans une superbe traduction d’Anne-Sylvie Homassel.

N’espérez pas trouver dans ce livre une accointance avec le polar ésotérique de True Detective. Les onze nouvelles qui composent ce recueil nous emmènent à travers un paysage fait d’angoisse et d’effroi sur les chemins déjà empruntés par Poe et Lovecraft. L’horreur est toujours ténue et présente à la fois, elle règne dans le récit comme une angoisse sourde. Elle s’insinue dans les mots, se cache derrière les situations et sert de révélateur de la réalité par delà la réalité de façade. La tension du récit se trouve aussi dans une action lente parfois atone. Cette inertie peut rebuter certains lecteurs, mais elle permet d’installer une atmosphère pesante. Lire une nouvelle équivaut à retrouver l’étrangeté du cauchemar couché sur papier.

Les méandres de l’angoisse s’ouvrent sur un couple qui s’offre des banalités en guise de discussions, dans la nouvelle qui s’intitule Petits Jeux. Le mari travaille comme psychiâtre dans une prison de haute sécurité. Il est troublé par le comportement d’un de ses patients. Même si l’histoire peut paraître classique, elle reste d’une efficacité sans failles. Cette ouverture dans l’esprit torturé de Ligotti est brillante.

Rêve d’un mannequin flirte avec un onirisme malsain. Un psychiâtre (encore) raconte la consultation qu’il a eue avec une femme qui rêve qu’elle est employée dans un magasin de prêt-à-porter. Son travail consiste à déshabiller puis à habiller des mannequins. Ce récit laisse divaguer son lecteur entre rêve et réalité pour le conduire vers une conclusion surprenante.

Le chymiste est un long monologue d’un homme plein de suffisance qui cherche à plaire à une femme qui reste muette. Cette logorrhée nous happe comme elle happe le personnage féminin et nous emprisonne incapable de pouvoir se soustraire à la fatalité du dénouement.

L’art perdu du crépuscule interroge la fatalité de l’ascendance et de l’héritage, à travers une histoire de vampires contemporains. Un récit implacable.

Mr Veech se rend chez l’étrange Dr Voke. Il souhaite être débarrassé de deux personnes qui le dérangent. Si la proximité des noms des deux personnages peut conduire à la confusion, il reste que le récit articulé autour de ce souhait étrange nous conduit dans un univers de cauchemar effroyable et délicieux.

Vastarien : Le héros considère que la réalité manque de l’ivresse magique du rêve qu’il cherche à retrouver dans la littérature. Il est en quête d’un absolu. Il va le trouver dans un livre qui le guide sur le chemin d’un monde halluciné.

Nethescurial raconte la découverte d’un manuscrit par le narrateur. Il présente une île qui accueille une divinité toute puissante : « Grand Dieu Unique. » L’apparition de cette idole fait glisser l’histoire vers un récit très Lovecraftien.

Miss Plarr vient s’installer chez le narrateur, un jeune garçon, pour tenir le ménage. Les deux êtres vont se rapprocher et se lier de manière inconsciente. Elle va lui ouvrir les portes vers un univers étrange.

L’ombre au fond du monde : la présence d’un épouvantail bouleverse tout un village, comme un être exsudé des ténèbres. L’une des meilleures histoires.

Conversation dans une langue morte conte l’histoire d’un homme seul qui possède pour tout plaisir de voir passer les enfants devant sa porte le jour de Halloween. Un récit intriguant dont on se demande d’où sortira l’horreur.

Le Tsalal commence par les habitants d’un village qui reviennent chez eux après avoir l’avoir fui. Un homme au contraire est resté. À travers le récit de l’enfance de ce personnage, on découvre la raison de la fuite des villageois. Œuvre la plus Lovecraftienne où l’on trouve comme chez son glorieux ainé une malédiction de dieu ancien. Une nouvelle teintée de noirceur et d’effroi qui clôt en beauté ce magnifique recueil.

« Mes dessins semblaient en fait illustrer des scènes tirées de la chronique d’un royaume étrange et cruel. Hanté par de curieuses pensées, de singulières visions, je décrivais un lugubre domaine obscurci par une sorte de brouillard ou de nuée dont les profondeurs faisaient des myriades de structures improbables, cependant toutes distordues en des figures étranges et féroces. »

Pour celui qui aime le genre, ce livre est l’occasion de retrouver le même frisson que l’on éprouvait en lisant le mythe de Cthulhu. Le recueil de nouvelles de Thomas Ligotti offre un large de panel de récits qui mettent en valeur le travail de cet architecte du roman d’épouvante.

« Bénie la graine à jamais plantée dans l’obscurité »

Nos romans cultes #2 : Chants du cauchemar et de la nuit de Thomas Ligotti