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Édito #60 : les licences doivent-elles tuer le père ?

Par Republ33k
14 septembre 2015
Édito #60 : les licences doivent-elles tuer le père ?

Si le patricide est un acte récurrent dans les récits mythologiques, la littérature dite classique ou simplement dans les heures sombres de notre histoire, il s'applique tout aussi bien à l'univers impitoyable de la production de films outre-atlantique, et plus précisément du côté d'Hollywood, là où sont nées et continuent de prospérer les licences, avec ou sans l'aval de leurs créateurs, que sont des George Lucas, des Steven Spielberg ou des James Cameron. Mais depuis la création du nouvel Hollywood, et avec la suprématie du cinéma de licence, le septième art local a bien changé, et il est peut-être le temps de mettre les pères sur le banc de touche pour mieux laisser jouer les jeunes.

En 2015, de très gros noms du cinéma hollywoodien et plus généralement du cinéma de licence ont circulé autour d'affaires en tous genres, allant de l'alarme sonnée face à l'essor des films de super-héros aux discours plus ou moins inspirés sur les productions actuelles. Steven Spielberg est ainsi revenu sur Jurassic Park, par l'intermédiaire d'un siège de producteur sur Jurassic World (de Colin Trevorrow), par exemple. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que toutes ces affaires ne témoignent pas toujours en faveur de ces pères. Car avec la vieillesse vient certes la sagesse, mais aussi, parfois, un certain manque de discernement. 

Avec les exemples  de Jurassic World et de Terminator : Genisys, on comprend que le public comme les studios ont encore bien du mal à couper le cordon. Et comment les blâmer ! Apposer le nom du père d'une licence à son dernier bébé est souvent un signe de qualité, ou en tous cas d'authenticité. Jurassic World produit par Steven Spielberg, qui en plus faisait des apparitions régulières dans la promo' du film : ça claque. James Cameron qui déclare que nous allons adorer Terminator : Genisys, ça rassure. Pour la simple et bonne raison que ces bonhommes savent de quoi ils parlent.

Seulement, nous avons oublié une chose essentielle. Lorsque ces films deviennent populaires, lorsqu'ils deviennent des licences, justement, ils commencent à appartenir à tout le monde. L'avis du créateur continue de compter certes, mais il se fera moindre, à chaque nouvel artiste invité, à chaque nouveau fan touché par sa création. En ce sens, des licences ayant plusieurs années au compteur, comme Terminator et Jurassic Park, appartiennent tout autant au public, aux fans, qu'à leurs créateurs. L'aspect culte de ces licences n'arrange rien aux choses, et combiné au temps, il finit par déformer la paternité de ces œuvres, que nous pouvons, quelque part, tous revendiquer. 

Lorsque Cameron, pour une raison ou pour une autre, crie à qui veut bien l'entendre que nous allons adorer Terminator : Genisys, ce n'est donc pas seulement son propre génie qu'il insulte, mais aussi plusieurs générations de fans qui ont été bercées par l'intelligence de sa mise en scène, de ses idées et de son propos. Et si nombre d'entre-eux pardonneront au père cet écart, en invoquant la sacro-sainte excuse pécuniaire, je préfère pointer du doigt le paternel, qui a, quelque soit son âge, un devoir d'excellence, ou au moins de respect. Pas forcément sur tous leurs films (l'erreur est humaine, vous le savez), ou toutes leurs déclarations, mais ceux qui nourrissent les rêves de milliers de passionnés méritent mieux, je crois, qu'une citation mensongère placée en haut d'une affiche.

Mais quitte à passer mes nerfs sur Cameron, qui n'a de cesse de se ridiculiser en s'entêtant sur Avatar et ses arlésiennes de suites, je pourrais aussi m'en prendre à Ridley Scott, qui a le culot d'assumer Prometheus en en faisant une suite, ou à Spielberg, qui a réussi à produire un Jurassic World en tous points antinomique avec son Jurassic Park. Avant de remettre un marron à Cameron qui prétend que le même Prometheus est le meilleur Alien depuis le sien. Il faut quand même avoir un melon sacrément démesuré, et être terriblement proche de son porte-monnaie pour s'enfoncer dans ce genre de décisions que je vois de plus en plus comme un bon mollard craché à la figure.

Entendons-nous bien, un respect et une fidélité des plus totaux à l'œuvre originale ne sont pas préférables pour autant. Pour la simple et bonne raison qu'ils ne peuvent que déboucher sur une fade copie de l'original. En ce sens, Jurassic World est assez symptomatique du problème puisqu'il réunit le sceau du père et une série d'easter-eggs ou de références qui, si elles feront plaisir à quelques fans, n'auront jamais l'impact d'une vraie histoire. Et je crois que c'est ce qui me dérange le plus avec Hollywood, de nos jours. En soit, le cinéma de licences est tout à fait capable d'accoucher de grandes choses. Là n'est pas la question, le premier comme le dernier film d'une saga peuvent être bons. Mais, à cause d'une course à la fidélité et à la reconnaissance, on finit par oublier tout ce qui a fait la saveur de ces films en premier lieu : une bonne histoire.

Genisys et Jurassic World, à mon sens, ne racontent rien. Ils sont dispensables, n'ajoutent que très peu de choses à l'équation originale mais ont toutefois le culot de s'y référer. A l'inverse, et même si je ne peux évidemment pas juger de la qualité du film, les discours tenus par J.J Abrams sur The Force Awakens me rassurent, puisqu'on y voit un fan de la première heure s'abstenir de toute référence, de tout fanboyisme aigu, pour livrer au public la seule chose qu'il voudra toujours : une bonne histoire. Des discours d'autant plus intéressants que la licence Star Wars a effectivement tué le père en mettant de côté George Lucas.

Dans un autre style mais avec la même conclusion, on retrouve aussi George Miller, qui s'est permis de revoir, de fond en comble, ce qui faisait la saga Mad Max pour donner quelque chose de plus grand encore avec Fury Road. Il est d'ailleurs assez amusant de constater que certains fans ne s'en sont toujours pas remis, et considèrent cet opus comme une hérésie. A croire que la facilité paie à Hollywood. Mais il ne tient qu'à nous de lui prouver le contraire.