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Utopiales 2015 : L'interview de Mike Carey

Par -- David --
6 novembre 2015
Utopiales 2015 : L'interview de Mike Carey

Scénariste de qualité chez Marvel dans les années 2000, Mike Carey est depuis quelques temps revenu à l'écriture de romans, en témoigne son dernier livre publié par l'Atalante, Celle qui a tous les dons. Invité des Utopiales de Nantes le week-end dernier, l'auteur s'est posé avec nous le temps d'une interview, qui revient sur de nombreux aspects de sa carrière, des Mutants aux Zombies en passant par la catastrophique adaptation de son excellent Lucifer, publié chez Vertigo.

Attention cette interview contient un certain nombre de spoilers à propos du livre Celle qui a tous les dons.

• Bonjour, nous sommes avec Mike Carey pour les Utopiales 2015. Nous voudrions parler de votre livre Celle qui a tous les dons. Pourquoi vouliez-vous parler de zombies maintenant alors que tout le monde utilise ce trope ?

C’est vrai, c’est devenu une histoire, un récit universel. Une sorte de mème. Il me semble que nous avons atteint un point où on a l’impression d’avoir déjà vu, lu ces histoires des centaines de fois. Qu’est-ce qu’un auteur ou un cinéaste peut en faire maintenant ? C’est de prendre les histoires d’apocalypse zombie et de s’en servir de background afin de raconter un autre genre d’histoire et c’est ce que je fais avec Celle qui a tous les dons. C’est en réalité une histoire sur l’amour éternel, l’amour entre un parent et son enfant. C’est aussi à propos de la manière dont nous nous sommes déshumanisés ou nous avons arrêté de voir les autres comme des hommes. J’utilise l’histoire zombie comme une métaphore pour ça.

• Je pense que les romans et les films de zombies sont très différents entre la Grande-Bretagne et les États-Unis : 28 jours plus tard ou In the flesh ne ressemblent en rien à un film de George Romero. En Angleterre, il me semble que les zombies ne sont pas l’histoire, qu’ils sont inutiles pour l’histoire.

Oui, c’est vrai, c’est une voie dans l’histoire, une sorte d’accélérateur à l’intérieur. Je pense tout de même que les États Unis produisent aussi de bonnes histoires de zombies comme Zombieland avec Woody Harrelson. C’est une histoire très très amusante qui prend la voie de la comédie. Il y a aussi Warm Bodies qui est une histoire façon Roméo et Juliette. Je suis totalement d’accord avec vous sur 28 jours plus tard. Ce fut d’ailleurs l’une de mes références d’autant plus que les zombies sont rapides comme dans mon histoire. Je pense que la chose intéressante est que les zombies peuvent être réinventés encore et encore. Il y a tellement de façon de les conceptualiser de les développer. Je pense que les monstres sont aussi populaires depuis si longtemps parce qu’ils sont polysémiques. Ils peuvent être réinterprétés de plusieurs façons différentes.

• Les monstres ne sont pas toujours les zombies. Ils peuvent aussi être humains.

C’est vrai. Caroline Caldwell, la scientifique, est un monstre, car elle est la seule dans le groupe à ne pas voir l’humanité de Mélanie.


 

• Elle est le vrai monstre dans l’histoire.

Oui. Oui. Elle est terrifiante. Elle est d’autant plus terrifiante qu’elle pense être le héros. Elle pense que ce qu’elle entreprend est absolument juste.

• Nous en avions d’ailleurs discuté entre nous (au sein de la rédaction) et je ne pense pas qu’elle soit le mal. Je pense que c’est son ego qui la motive.

Elle veut sauver le monde. Elle veut aussi qu’on le sache. L’ironie c’est qu’à la fin de l’histoire lorsqu’elle réalise ce qui se passe, la seule personne à qui elle peut le dire est Mélanie.

• Parlons de Mélanie justement. Elle est à la fois une humaine, mais aussi un zombie. Elle est le personnage le plus humain de l’histoire.

Elle est beaucoup plus une version idéalisée de l’enfance. C’est la fille qu’on adorerait avoir. Elle est courageuse, imaginative, intelligente. Elle a une très grande curiosité sur le monde, comme tous les enfants. Je pense que, plus que tout, c’est une histoire sur quelqu’un qui se retrouve jeté dans un monde sauvage qu’il ne comprend pas. C’est le voyage que tous les enfants doivent faire, mais ce n’est évidemment pas aussi dramatique.

• Dans votre histoire, il semble que la seule personne qui est en mesure de sauver le monde est l’enfant. Ce n’est pas tant l’enfant que l’éducation.

Oui. Oui. Je pense que ce sont les histoires qui nous permettent d’interpréter notre propre vie à travers la lentille d’histoires et des légendes. Tous les points de références pour Mélanie sont tous des mythes, parce qu’elle n’a rien d’autre. Elle a vécu dans une petite pièce. Une fois encore, je pense que c’est la vérité pour la plupart sur le monde réel. Cette histoire est comme le squelette, le cadre sur l’idée qu’ont la plupart des gens sur le monde.

• Il semble qu’elle n’est pas là pour sauver le monde, mais pour préparer le prochain. C’est plutôt une fin puissante sur le choix qu’elle fait. Quelle était votre intention ? Que pensez-vous de la société aujourd’hui ?

Eh bien, je pense que l’une des raisons pour que les histoires post-apocalyptiques soient si populaires c’est que les seules attentes que nous puissions avoir sur le futur sont des catastrophes écologiques ou financières ou des guerres ou un désastre technologique. Je pense que nous vivons tous, avec ces incertitudes, cette terreur. Dans un sens, cela me fait penser aux années 80, pendant la guerre froide, où tout le monde pensait à une guerre nucléaire. Maintenant nous avons tellement de moyens pour nous détruire. Je pense que c’est ce que je cherche à explorer dans mon livre. Qu’est-ce qui se passera après ? Qu’est-ce qui se passera après nous ? Quelque chose viendra après nous. Ce qui restera sera mieux ou pire. Je pense que d’une manière étrange, le livre a un vrai happy end, pas une fin heureuse pour nous (N.D.T. L’humanité). C’est juste une sorte de possibilité qui nous est ouverte.

 

• Votre film va être adapté.

C’est merveilleux. L’expérience a été fabuleuse. J’ai écrit le scénario en même temps que j’écrivais le roman basé sur une nouvelle Iphigenia at Aulis que j’avais écrite. Je travaille avec une productrice française Camille Gatin, un réalisateur britannique Colm McCarthy. Nous avons aussi un casting magnifique : les trois rôles principaux sont Glenn Close qui interprèteCaroline Caldwell, Madame Justineau est joué par Gemma Arterton, que l’on a pu voir récemment dans un film français Gemma Bovery, et Paddy Considine qui joue l’agent Parks. Vous avez aussi une parfaite Melanie, une fille de 12 ans, qui se nomme Sennia Nanua. C’est son tout premier rôle. Elle est fabuleuse. Lorsqu’elle se trouve devant la camera vous ne pouvez vous détourner, vous devez la regarder. Je suis moi aussi dans le film, dans le rôle d’un zombie. J’ai appris que faire un film demande un long processus. Mais on a traité l’œuvre originale avec un grand respect. C’est exactement le film que je voulais faire.

• C’est votre premier ?

Non, pas du tout. J’ai déjà écrit quatre scripts, la plupart n’ont pas été adaptés. Il y a longtemps, j’ai écrit le script pour un film d’animation appelé Tristan et Iseut avec le réalisateur luxembourgeois Thierry Schiel. Il a été diffusé au cinéma en France, une semaine avant de disparaître. C’est un très mauvais film. J’ai souvent écrit des scripts pour les films, mais la plupart du temps cela ne marchait pas. Mais cette fois si, tout marche parfaitement.

• Pour le film comment avez-vous fait passer l’idée que ce n’est pas réellement une histoire de zombies, mais un film avec des zombies ?

Nous n’avons jamais utilisé le mot zombie. Sur le plateau, à chaque fois que quelqu’un disait zombies, le réalisateur reprenait en disant que ce sont des affams. Hors de ma vue ! (rire) Je pense que c’est vraiment important, que ce soit dans le film ou dans le livre, que vous ne sachiez pas ce qui se passe vraiment (N.D.T. au début) ni sur le lieu où se trouvent les enfants ni sur ce qu’ils sont réellement. Vous avez cet endroit étrange où les enfants sont entourés de soldats qui les traitent comme des bombes sur le point d’exploser. Il y a comme une dérive où vous ne comprenez pas ce qui se passe réellement, vous ne le découvrez que graduellement.

 

• À propos d’adaptation, avez-vous vu l’adaptation de Lucifer, la série télévisée ?

Je n’ai vu que le pilote. C’est OK.

• Vraiment, vous le pensez ? 

C’est vraiment différent. Ce n’est pas vraiment une obsession, maintenant. J’ai adapté Neverwhere en comics (N.D.T. De Neil Gaiman). J’ai aussi adapté Ender’s Shadow d’Orson Scott Card. Évidemment, j’ai adapté mon propre roman en film. Ce que j’ai appris, c’est que vous avez besoin de réinventer. Quand vous adaptez, vous réinventez. Vous prenez l’histoire par morceau et vous regardez ces morceaux et vous devez décider ce qui marchera, ce qui ne marchera pas et vous les remettez ensemble d’une manière différente. Je pense que la série TV Lucifer va devenir totalement différente du comics, mais ce n’est pas grave...

• C’est juste un cop show !

(Mike Carey s’est pris la tête dans les mains de dépit.) (rire) Je sais. Je sais. Mais ça peut être intéressant de voir où ça va les mener. Je sais que le scénariste aime le comics et qu’il va intégrer beaucoup des personnages du comics dans la série et ce sera amusant de voir ça. (rire) Je ne veux rien dire de plus. (rire)

• Très bien. À propos de Lucifer, comment avez-vous rencontré Neil Gaiman ?

Je l’ai rencontré quelquefois. Je l’ai rencontré à des conventions et nous avons été à un mariage ensemble, il y a quelques années de cela. Lorsque j’écrivais Lucifer, il était très impliqué. Il était créateur consultant. Chaque script que j’écrivais, chaque plan que j’écrivais lui était envoyé et il me donnait son opinion dessus. Il était très généreux de son temps. Il était très gentil de me laisser prendre ma propre voie et de faire mes propres erreurs. Il était un collaborateur formidable. Je lui dois beaucoup, pas qu’à cause de Lucifer, j’ai écrit Petrefex, The Furies, God Save The Queen. J’ai donc écrit beaucoup beaucoup d’histoires dans l’univers de Sandman. Donc, de toute évidence, si j’ai une carrière c’est grâce à Neil.

 

• Lorsque j’étais enfant, je lisais beaucoup de comics X-Men et lorsque je suis retourné au comics, j’ai lu votre X-Men Legacy, et j’ai dit oui, les X-Men sont de retour, ce qui ne fut pas le cas par la suite.

Les X-Men ont connu beaucoup de renaissances différentes. Je pense que le run Joss Whedon, Astonishing X-Men, était très bon. Grant Morrison sur les New X-Men était aussi très bon, même si je sais que cela a beaucoup divisé.

• Voulez-vous travailler de nouveau avec les comics mainstream ?

C’est difficile pour moi. J’aime toujours les comics. Je lis toujours beaucoup de comics. J’ai d’ailleurs acheté une pile de bandes dessinées que je n’arrive pas à rentrer dans mes bagages. Je viens de découvrir Marc-Antoine Mathieu. Je n’ai jamais rien lu de la sorte. C’est incroyable. C’est difficile, car lorsque vous travaillez sur les X-Men vous devez faire attention à ce qui arrive dans les autres livres X-Men et vous devez savoir aussi ce qui se passe ailleurs dans l’univers Marvel. C’est comme un travail à plein temps. Vous ne pouvez le faire de manière occasionnelle. Vous devez consacrer beaucoup de temps pour lire les autres livres, pour rester cohérent et dans la continuité. Je ne peux plus le faire maintenant, car j’écris des livres et des scénarios. La seule chose que je peux faire maintenant c’est des mini-séries, de trois ou quatre numéros. J’ai fait un comics avec Mike Perkins qui vient juste de commencer qui s’intitule Rowans Ruin. C’est une histoire d’horreur qui compte quatre numéros. Je vais aussi faire ma première bande dessinée, pour les éditions Glénat, qui sortira en janvier qui se nomme le Haut Palais avec Peter Gross, le dessinateur de Lucifer et de The Unwritten. Je fais toujours des comics, mais je ne peux plus faire de séries mensuelles pour le moment.

 

• Que pensez-vous de ce qu’est en train de faire Image Comics, en ce moment.

C’est vraiment incroyable. Ils ont absolument changé le marché. Je pense que DC et Marvel doivent se demander comment répliquer, car ils sont en train de perdre leurs meilleurs auteurs partis chez Image pour faire du creator owned. C’est stupéfiant, car c’est venu de nulle part. Je pense que c’est l’expression de quelque chose de plus profond. Mais de manière évidente, vous avez IDW, BOOM, Dark Horse qui propose maintenant plus de nouvelles séries qu’il y a quelques années. Les parts de marché de DC et Marvel doivent être autour de 45 % maintenant. Je pense que c’est bon, car plus il y a de choix, meilleur c’est.

• Nous voyons que DC et Marvel ne créent plus de nouveaux livres, ils ne font que recycler leurs licences.

Ils sont prisonniers de leurs lecteurs qui veulent toujours voir les mêmes personnages classiques utilisés. Lorsqu’ils essaient de faire quelque chose de nouveau, ils sont punis pour cela.

• Voudriez-vous travailler pour Image dans le futur ?

Certainement, mais je fais une série pour BOOM en ce moment. La seule raison pour laquelle je n’ai pas approché Image c’est que je suis très mauvais pour faire ma propre promotion. Ils ne font aucun marketing. Ils sont des éditeurs. Vous devez faire votre publicité vous-même.


Et voilà, c'en est fini de notre entretien avec le passionnant Mike Carey, on se retrouve très bientôt avec l'immense Christopher Priest