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Les Maîtres du Fantastique #7 : Vilmos Zsigmond

Par Sullivan
5 janvier 2016
Les Maîtres du Fantastique #7 : Vilmos Zsigmond

Alors que 2015 emporte avec lui un lot de disparus dramatique pour les amateurs de Pop Culture, Christopher Lee et Lemmy en tête, 2016 commence malheureusement du même pied avec les disparitions des Michel (Delpech et Galabru) certes, mais également de l'un des plus grands directeurs photo de l'histoire du cinéma, l'immense et trop méconnu Vilmos Zsigmond.

 
Quelques jours après la disparition toute aussi tragique d'Haskell Wexler, c'est toute une profession qui doit faire le deuil d'un autre géant de l'ombre, de ceux que l'on appelle à Hollywood des "Cinematographers", une reconnaissance linguistique plus propre à qualifier l'importance capitale du rôle de ceux que l'on appelle chez nous des "directeurs photo".
 
Mais avant de se plonger dans une vie bonne à nous offrir un biopic passionnant dans quelques années, posons de nouveau les bases du rôle de cinematographer, prépondérant dans l'histoire du cinéma (où le nouvel Hollywood a notamment vu son avènement grâce à des prises de vues révolutionnaires nées de ces esprits visionnaires et à l'aise avec les nouvelles technologies). Le directeur photo, c'est littéralement le bras droit du réalisateur. En grossissant le trait, on pourrait même donner au réalisateur le crédit des idées, tandis que son directeur photo reçoit lui le crédit de la mise en place de la machinerie, de l'équipe de cadreurs, mais aussi et surtout de la lumière - je vous conseille d'ailleurs de faire quelques recherches sur le génial Jeff Cronenweth dès maintenant pour comprendre à quel point l'éclairage est l'un des points majeurs de la production d'un métrage, quel qu'il soit. Évoluant dans l'ombre de leurs illustres collègues, les directeurs photos sont bien souvent un secret bien gardé des cinéphiles, eux à qui on distribue tout de même chaque année des Oscars, des BAFTA et autres babioles bonnes à décorer une cheminée et une page Wikipedia. D'ailleurs, avant de vous présenter la vie de Vilmos Zsigmond, je vous conseille aussi d'aller jeter un oeil aux travaux de Rob Hardy (Ex Machina) et d'Emmanuel Lubezki, génie mexicain responsable de la folle production de The Revenant, film d'Alejandro Inarritu tourné exclusivement en lumière naturelle, une prouesse colossale en 2016. 
 
Reconnu en 2003 par ses pairs comme parmi les dix cinematographers les plus influents du cinéma, l'histoire de Zsigmond commence pourtant bien loin des remises de prix et des États-Unis, puisqu'il nait en 1930 en Hongrie. Fils d'un joueur de foot local et d'une mère dans l'administration, il a la chance de suivre les cours d'une école de cinéma et d'art dramatique à Budapest, avant de quitter son pays sous la pression de la révolution de 1956. Particulièrement impliqué dans les évènements, Vilmos Zsigmond prendra son rôle de résistant très à cœur, lui qui filmera sur des centaines de bandes plusieurs dizaines d'heures de soulèvement avec son confrère et ami Laszlo Kovacs, autre directeur photo au parcours miroir de celui de Vilmos Zsigmond, eux que l'on aperçoit ensemble au sein du docu' s'intéressant à cette période précise de la vie de l'acolyte futur de Steven Spielberg. 

S'étant enfui en Autriche pour échapper à la pression du régime, il parvient à rejoindre les États-Unis dans la foulée et devient résident américain en 1962, alors qu'il découvre Los Angeles, son faste et évidemment son cinéma en pleine ébullition. Hyper doué, pugnace et toujours volontaire sur un tournage (sur lequel il arrivait généralement un mois à l'avance et pour lequel il travaillait jusqu'à 18 heures par jour de manière régulière, et ça pour la quasi-totalité de ses projets), Zsigmond fait alors ses débuts dans des films à petits budgets, qui avaient pourtant la particularité qui fera l'essence de sa carrière, puisqu'il s'agissait de films d'horreur et d'un cinéma que les gardiens du temple se refusaient à voir. Préparant sans le savoir le nouvel Hollywood à force de renforcer ses techniques à mesure que son carnet d'adresse se remplit, il se fait la main sur des films tels que The Sadist, The Incredibly Strange Creature Who Stopped Living and Became Mixed-Up Zombies, et bien d'autres.

Tandis que son parcours se sépare définitivement de celui de Laszlo Kovacs (qui partira faire Easy Rider, rien que ça), Zsigmond fait la connaissance de Robert Altman, pour qui il réalisera énormément de photo, avant de jurer fidélité aux trois autres immenses réalisateurs qui feront de lui une légende : Brian De Palma (Le Dahlia Noir, Blow Out...), Michael Cimino (Footloose, The Deer Hunter, Heaven's Gate) et Woody Allen (Melinda et Melinda, le rêve de Cassandre...). Ses travaux divers et (très) variés incluent également des collaborations avec Richard Donner (Maverick), Kevin Smith (Jersey Girl), George Miller (les Sorcières d'Eastwick) et évidemment Steven Spielberg, avec qui il travaillera sur deux long-métrages, The Sugarland Express (premier film du meilleur ami de George Lucas) et le cultissime Rencontre du troisième Type - où il aurait notamment appris à son réalisateur par l'exemple que la lumière réelle n'est pas la lumière sur pellicule un jour où il explosa le budget du film et enragea ses producteurs pour faire venir des tonnes de projecteurs directement d'Hollywood, sorti en 1977, année particulièrement spatiale puisque le film faisait concurrence à un certain Star Wars
 
 
Surtout respecté pour ses prises de vues très iconiques et instantanément cultes, Zsigmond est reconnu par ses pairs pour avoir apporté un style plus sombre (ce qui lui vaudra des problèmes sur de nombreux projets où il sera remercié à cause de sa vision dépouillée et très écorchée de l'image) et des contours très nets aux silhouettes, une des marques de fabriques de nombreux films du nouvel Hollywood, où de jeunes cinéastes lassés du nihilisme visuel des années 60 et 70 vont apporter une science toute particulière de l'image, de la lumière et des ambiances, afin d'accompagner les visions novatrices des réalisateurs qu'ils accompagnent. Un héritage vibrant aujourd'hui encore, tant leur travail a changé la donne pour les centaines d'artistes et les dizaines d'années à venir.
 
Travaillant dur jusqu'à la fin de sa vie, il compte plus de 100 métrages à son actif, lui qui se sera aussi beaucoup intéressé à ses premiers amours avec le documentaire, qu'il cherchait à anoblir en lui offrant une photo différente, toujours dans l'obsession que l'image perçue par les yeux n'est pas la même que celle d'un instrument, bien avant même d'évoquer les retouches en post-production. En 2012, alors que le métier de directeur photo change drastiquement à mesure que les technologies le permettent, Zsigmond fonde le Global Cinematography Institute (dont sont tirées les vidéos ci-dessus et ci-dessous) à Los Angeles, dans l'espoir de faire perdurer un métier ô combien particulier, réservé à une élite modeste de l'ombre, dont le talent est pourtant de faire vivre la lumière au point de déformer notre perception du réel et d'y ajouter un degré de poésie insoupçonné. Un métier trop souvent oublié, sans lequel beaucoup de réalisateurs cultes aujourd'hui ne pourraient envisager leurs riches et longues carrières. Et si les photographies de David Fincher, Alfonso Cuaron et Alejandro Inarritu vous touchent au delà de l'histoire qui vous est proposée, profitez-en pour vous plonger dans les passionnantes visions de Cronenwerth et Lubezki, les deux plus fidèles héritiers qu'étaient ces légendes Vilmos Zsigmond et Haskell Wexler.
 
Les Maîtres du Fantastique #7 : Vilmos Zsigmond