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Édito #93 : Jeux vidéo et cinéma, un amour impossible ?

Par Tom***
15 mai 2017
Édito #93 : Jeux vidéo et cinéma, un amour impossible ?

Depuis la fin des années 80, l'industrie du cinéma flirte avec celle du jeu vidéo et essaie tant bien que mal de réaliser des adaptions lives des licences les plus renommées du média vidéoludique. Hélas, nous sommes obligés de constater que jusqu'ici, celles-ci sont toutes ratées et manquent à chaque fois leurs cibles.
Le monde du cinéma ne semble toujours pas comprendre qu'un bon jeu ne fera pas pour autant un bon film, et ce malgré les millions de dollars que l'on injecte dans sa production et dans sa campagne marketing. Alors pourquoi le milieu du cinéma s'acharne t'il à vouloir s'inspirer d'un média qui fondamentalement n'a rien à voir avec lui?

La première réponse cynique concerne l'aspect financier. Depuis plusieurs années, le jeu vidéo génère beaucoup plus d'argent que le monde du cinéma. Certains titres comme GTA V ont atteint le milliard de dollars seulement trois jours après leurs sortie. D'autres, comme Super Mario Bros, Warcraft ou Assassin's Creed, fédèrent un large public qui s'empresse à chaque nouvelle sortie d'acheter un exemplaire de leur série culte, ce qui transforme ces joueurs automatiquement en victimes potentielles du marketing censé les attirer au cinéma. 

La seconde raison vient de la confusion que les studios de cinéma peuvent faire quand au médium jeu vidéo. En effet, si les deux médias sont assez proches, leur but est de raconter une histoire, les moyens qu'ils utilisent pour arriver à leurs fins sont eux, radicalement différents. La narration du cinéma va être passive pour le spectateur, qui aura "simplement" à suivre l'histoire de son film au fond de son fauteuil ou de son canapé. La narration du jeu vidéo quand à elle, passe en partie par des mécaniques de gameplay qui vont permettre au joueur d'être acteur du scénario qui lui est proposé et de renforcer ainsi son implication émotionnelle dans son aventure.
Deux visions et deux systèmes de narration que tout oppose et qui, pourtant, continuent de faire rêver certains producteurs pensant à l'heure actuelle avoir trouvé un bon moyen de transformer une idée en billets violets.



Pourtant, la sonnette d'alarme a été sonnée il y a maintenant 24 ans. 
En 1993 sortait Super Mario Bros, le film. Ayant couté 48 millions de dollars, le film en rapportera à peu près 20 millions lors de sa sortie à travers le monde. Un véritable naufrage comme seul Hollywood est capable d'en produire. Et pourtant, cela n'arrêta pas les producteurs qui continuèrent sur leur lancée en sortant une adaptation live de Double Dragon, de Street Fighters et une autre de Mortal Kombat. La plupart de ces films sont des échecs auprès de la critique et remplissent difficilement leurs objectifs au box office. 
Les producteurs semblent avoir compris que le jeu vidéo n'était finalement pas la manne financière tant attendu et mettent alors de côté les adaptations. Seulement pour quelques temps. 

Au milieu des années 90, le grand public découvre la 3D dans les jeux vidéo et par conséquent, les nouvelles techniques de narration et d'immersion pouvant être offertes au public. C'est Tomb Raider, sorti en 2001 au cinéma, qui ouvrira le bal de la nouvelle génération de films inspirés de jeux vidéo. Le long métrage, mettant en scène Angelina Jolie, est un succès au box office (27 millions de dollars) et permettra à plusieurs producteurs de relancer la mode des adaptations sur grand écran de jeux vidéo.



C'est ainsi qu'en 2002, la saga Resident Evil voit le jour au cinéma. Avec des budgets de production plutôt moyen (50 millions de dollars en moyenne pour chacun des six films), chaque film double voir triple sa mise au box office. Mais si le succès auprès du grand public est là, les joueurs et fans de la série boudent les films qui, selon eux, s'éloignent de l'univers développé dans les jeux, les producteurs ayant décidé de créer une nouvelle mythologie à partir d'éléments du jeu. Resident Evil tente donc pour la première fois de s'affranchir du média jeu vidéo mais n'atteint pas l'objectif qualitatif que l'on était en droit d'attendre. Car là où le jeu vidéo originel s'inspirait (entre autre) du cinéma de Georges Romero pour mettre les joueurs dans des situations angoissantes qu'ils allaient avoir à affronter, les films de Paul W.S. Anderson eux se contentent de prendre des éléments du jeu pour raconter leurs propres histoires qui, si elles ne passionnent pas les spectateurs, manquent leurs objectifs de divertissement.



Malgré tout, la réussite commerciale des deux précédents exemples ouvre les vannes à de nombreux films, qui, à de rares exceptions, seront des échecs tant commerciaux que critiques. On passera sur la plupart d'entre eux pour s'attarder sur le cas de Silent Hill qui est à mettre en parallèle avec Resident Evil. Là ou son ainé a tout fait pour s'éloigner de l'univers de base, Christophe Gans réalise avec son film une adaptation on ne peut plus fidèle du jeu de Konami. Il va même jusqu'à reprendre certains plans et dialogues utilisés dans le premier épisode de la saga ne se permettant qu'une seule idée originale, celle de mettre une femme dans le rôle principal à la place d'un homme.
Venant d'un réalisateur connu pour son amour du jeu vidéo et sa cinéphilie (coucou Le Pacte des loups), ce Silent Hill est une déception, car une nouvelle fois, il n'arrive pas à s'affranchir de sa source d'inspiration et offre simplement une lecture du script original là ou l'on pouvait s'attendre à une vision d'artiste de la licence. 
Difficile de passer à côté de Warcraft : Le Commencement, film mainte fois repoussé et qui a souffert de nombreux remontages de la part du studio. Et pourtant sur le papier, l'idée de départ pouvait vendre du rêve. Avec Duncan Jones (auteur du très bon Moon) aux manettes, le jeu vidéo pouvait enfin commencer à croire qu'un avenir était possible pour lui au cinéma. Et pourtant lors de sa sortie, c'est une nouvelle déception. La faute à une production chaotique mais très probablement aussi à un univers tellement riche créé en amont, qu'il est difficile, une nouvelle fois, pour le réalisateur de s'en affranchir et de proposer une réelle vision d'auteur.

Alors, force est de constater que les jeux vidéos restent difficilement adaptables au cinéma.
Mais peut être que ces deux médias peuvent s'inspirer l'un est l'autre afin de proposer des oeuvres originales, capables de transporter les spectateurs / joueurs.
Ainsi, ces dernières années, des films allant dans ce sens ont fait leurs apparitions dans nos salles de cinéma. 
De Inception de Christopher Nolan, dont une des inspiration est la notion de Level Design présente dans tout jeux vidéo, à Edge of Tommorow et son analogie à la courbe d'apprentissage bien connue des joueurs des productions From Software (Dark Souls, Bloodborne), le cinéma s'inspire des mécaniques de jeux et de ce que ressent un joueur lorsqu'il fait face à l'une d'elle. Et que l'on aime ou pas ces films, force est de constater que l'on ne peut qu'apprécier l'originalité proposée.



Le jeu vidéo, quant à lui, réussit aujourd'hui à intégrer des éléments de mise en scène propres au cinéma grâce aux avancées technologiques des moteurs utilisés dans leurs productions. Ainsi David Cage, Christophe Balestra et Hideo Kojima se servent de leurs influences pour impliquer (avec succès ou non) les joueurs dans leurs histoires.

Cette fois, la problématique s'inverse et l'on peut se poser légitimement la question de la pertinence d'utiliser un langage qui n'est à la base pas pensé pour son média. Le serpent qui se mord la queue en somme.