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Cinemasins vs Jordan Vogt-Roberts : l'âge de la critique facile ?

Par Republ33k
21 août 2017
Cinemasins vs Jordan Vogt-Roberts : l'âge de la critique facile ?

Si SyFantasy est un site entièrement consacré aux cultures de l'imaginaire, il arrive que celles-ci provoquent des problèmes bien réels. En témoigne la récente discorde entre Jordan Vogt-Roberts, le réalisateur de Kong : Skull Island, et Cinemasins, l'une des chaînes YouTube dédiées au cinéma les plus consultées du web.

C'est pourquoi nous avons décidé de faire une (petite) entorse à notre ligne éditoriale pour vous parler d'un sujet qui personnellement, me passionne : l'art de la critique, qui vit semblerait-il assez mal l'ère du 140 caractères et des vidéos bien décidées à faire le buzz.

Mais avant tout, il convient de reposer le contexte de cette fameuse discorde en vous présentant Cinemasins. Chaîne Youtube disposant de plus de 7 millions d'abonnés, Cinemasins a été créée en 2012 et entend décortiquer tous les "péchés" des films qu'elle visionne dans des petites vidéos qui pointent du doigt le moindre problème à l'écran, qu'il s'agisse d'un élément de scénario incompréhensible ou d'un faux raccord, par exemple. Parfaite pour prendre d'assaut les pires films hollywoodiens, la chaîne a donc rapidement explosé, et succès oblige, elle s'attaque désormais à de très, très nombreux films, y compris des classiques reconnus comme L'Empire Contre-Attaque ou plus modernes, tels Mad Max : Fury Road. Rien ne fait donc peur à Cinemasins, et si leurs vidéos sont de prime abord divertissantes et plutôt marrantes, elles tombent depuis bien longtemps dans une course au bashing peu glorieuse, qui a de plus en plus de mal à se cacher derrière l'humour ou la satire.

C'est justement ce qu'a voulu dénoncer Jordan Vogt-Roberts en réaction à la vidéo "Everything Wrong With Kong: Skull Island" sur Twitter. Plutôt remonté pour un bonhomme se déclarant insensible aux attaques de Cinemasins, le réalisateur a tout de même expliqué sa vision des choses, estimant que la chaîne YouTube suçait le sang des films pour le simple plaisir du créer du contenu, contenu d'ailleurs plutôt léger en arguments, comme le montre la série de Tweets de Vogt-Roberts, qui nuance assez habilement ce qu'affirme la vidéo à légère. Et qu'on apprécie ou non le travail du bonhomme sur King Kong, il est toujours plus intéressant de noter les réponses du réalisateur aux points soulevés par Cinemasins que les points eux-mêmes, toujours présentés sous la forme d'une vérité générale là où ils sont souvent affaire de goût et de couleurs.

Maintenant, on peut pas non plus demander l'impossible aux cinéphiles. L'art s'apprécie toujours subjectivement, selon des préférences et un passé qui n'appartiennent qu'à nous, même s'ils ressemblent parfois à ceux du voisin. Quand on parle de culture, la critique n'est donc jamais objective. Elle peut l'être sur des points techniques, comme un faux raccord, l'éclairage ou même les effets spéciaux, mais il est toujours plus difficile de s'entendre à l'aide de bases communes quand on parle de jeu d'acteur ou d'écriture, par exemple, et pourtant, ces deux éléments répondent eux aussi à différents standards. On pourrait donc voir Cinemasins comme une critique très personnelle sur un ton unique, proche de la satire et mâtiné de pinaillage. Après tout, les petits gars derrière cette chaîne ne sont pas les seuls à aimer relever le moindre détail qui va à l'encontre des lois de la physique ou du montage. On a tous un ou des amis qui sont, au fil de leur cinéphilie, devenus des champions dans ce sport.

Moralité, le contenu de Cinemasins pourrait ne pas être le problème. Mais quand on l'associe à un contenant bien précis, c'est là qu'il devient problématique, je crois. En effet, à l'heure où l'information se consomme différemment, YouTube est devenu une plateforme idéale pour se cultiver et en apprendre plus, sur le cinéma, forcément, mais sur tout un tas d'autres sujets. Seulement, l'ascension de la vidéo sur internet se fait sans garde-fous, et peut donc propulser des individus au contenu problématique - même quand on parle de culture - sur le devant de la scène, sans qu'aucun contrôle ne soit exercé. Un mal pour un bien, puisque la liberté laissée aux vidéastes a aussi donné naissance à quelques success stories passionnantes, et bien sûr à des créateurs de contenus qui sans internet, auraient dû ranger leur passion contagieuse dans le tiroir de l'anonymat.

Mais ce n'est pas un hasard si Jordan-Vogt Roberts revient sur le cas Cinemasins en plein milieu de l'été. Certes, il rebondit sur la vidéo de la chaîne, mais j'ai tendance à croire qu'il donne aussi de la voix à une pensée qui habite petit à petit de nombreux internautes, moi y compris. Ces dernières semaines, j'ai en effet remarqué que le mélange de guerre froide et de guerre de tranchées qui touche souvent les fandoms de grosses franchise s'est étendu au reste de la cinéphilie. Mais cette fois, il ne s'agit pas de DC, Marvel ou Star Wars, mais bien d'œuvre ou d'artistes en particulier. Si on a pris l'habitude de voir les univers les plus populaires du moment transformés en champs de bataille au moindre mot de travers, l'expérience me semblait inédite du côté des fans de Christopher Nolan ou d'Edgar Wright, par exemple. Et pourtant, les deux derniers films en date des britanniques, Dunkerque et Baby Driver, se sont parfois montrés aussi polarisants que le dernier super-héros à la mode, notamment sur les (ou du moins mes) réseaux sociaux, où j'ai vu des fans s'écharpper comme jamais à propos de deux films pourtant appréciables, chacun à leur manière.


C'est toute une culture du "totem" qui semble contaminer internet. Et si en soi, on peut comprendre la passion des fans de tel ou tel univers ou de tel ou tel artiste, j'ai personnellement du mal avec la forme que prend désormais cet amour sur les réseaux sociaux, qui se montrent de plus en plus hostiles et fermés là où ils devraient être accueillants et ouverts. Après tout, il s'agit de connecter des millions de passionnés entre eux, non ? Sans vouloir être pessimiste - ce que profondément, je ne suis pas et me refuse d'être - j'ai pourtant l'impression d'assister à la naissance d'une contre-utopie où le contenant finit par contaminer le contenu. Nous avons désormais les moyens d'échanger et de débattre en direct, parfois avec les artistes derrière nos œuvres préférées, et nous choisissons pourtant d'utiliser ces moyens pour encapsuler des avis précipités. Et quand je dis nous, soyez certains que je me compte parmi les fautifs, d'autant que j'ai à mon actif quelques critiques honteuses dont le tristement célèbre 4.5/5 d'Age of Ultron ou pour rester sur SyFantasy, le 9/10 de Jupiter's Ascending.

Mais l'été ne m'a pas que donné chaud, il m'a aussi fait prendre conscience de cette lente descente vers des avis qui souffrent toujours plus des moyens avec lesquels ils sont exprimés. L'exemple qui m'a le plus frappé est ainsi l'une des phrases typiques de Twitter, le fameux  "C'est dur de débattre en 140 caractères" qui perd chaque jour un peu plus son sens, puisque rares sont encore celles et ceux qui utilisent ces caractères à bon escient. Récemment, et pour des films pourtant criants d'intelligence ou du moins, d'originalité, j'ai ainsi compté bien plus de "pourquoi j'ai raison et vous avez tort" que de "okay pour ton avis, voici le mien en trois points" et ça me rend particulièrement triste. Déjà, parce que je sais que je participe à l'effort de cette guerre injuste. Et ensuite, parce que je n'ai toujours pas trouvé de moyen de lutter contre tout ça sans avoir l'air du dernier des candides. 


Cependant, le ridicule ne tue pas, et pour raccrocher avec le sujet du jour et Cinemasins, il convient de ne pas oublier tous celles et ceux qui font des efforts pour relever la barre. A un nombre de vues presque comparable (mais plus élevé), les petits gars de Screen Junkies et leur Honest Trailers font par exemple l'effort d'écrire avec intelligence et passion, et de répondre aux éventuels vexés, avec lesquels la chaîne Youtube discute toujours avec courtoisie. Elle profite même parfois de la déception des artistes impliqués pour les inviter à participer à une émission, et celles-ci sont bien souvent passionnantes, car une fois renversée, la vapeur semble délier les langues. Je vous invite par exemple à regarder cette vidéo avec Zack Stentz, le scénariste de Thor qui jadis, était rentré dans le lard de cette chaîne YouTube. Mais il convient aussi de saluer toutes celles et tous ceux qui se lancent dans des podcasts, des critiques argumentées ou même des thread passionnés sur Twitter. 

Désormais, je fais donc très attention à mes mots, notamment sur les réseaux sociaux, et choisis de m'enthousiasmer devant les retours positifs ou argumentés plutôt que de m'offusquer (ou de me fendre la gueule, au choix) devant les meilleurs punchlines de l'internet. Encore une fois, la critique des œuvres et des industries culturelles et quelques chose de très subjectif, et il convient de ne pas effacer les avis tranchés au profit d'un climat aseptisé. Simplement, il serait peut-être de bon ton de réfléchir à l'influence qu'a la forme sur le fond, ou du contenant sur le contenu, si vous préférez. J'espère que vous me pardonnez les erreurs du passé, qui sont devenues pour moi un moyen de réfléchir à ce sujet passionnant, et je vous encourage à profiter de ce petit aparté dans la ligne édito' de SyFantasy pour nous donner votre avis ou nous poser des questions juste ci-dessous !

Cinemasins vs Jordan Vogt-Roberts : l'âge de la critique facile ?