
H.P Lovecraft influence l’inconscient collectif
depuis près d’un siècle. Trop souvent associé à un dieu endormi à tête de
poulpe et à du merchandising mignon, on oublie facilement la profondeur de sa
création (et sa « non-profondeur » mais nous y reviendrons).
Fondateur de l’horreur cosmique et père de certains de vos cauchemars, il a
inspiré les plus grands d’aujourd’hui de Stephen King à Bloodborne.
Pourquoi, presque un
siècle après sa mort, Lovecraft fascine-t-il toujours ?
Je parlais plus haut
d’horreur, mais une bien particulière, celle cosmique, celle de la petitesse de
l’Homme face à des êtres innommables et indifférents. Il faut comprendre
qu’au moment où Lovecraft écrit L’Appel de Cthulhu ou encore le
Cauchemar d’Innsmouth, les récits de terreur ennuient ou sont
« génériques ». L’horreur se limite aux histoires de vampires, de
fantômes ou de maisons hantées : des choses qui nous paraissent clichées
aujourd’hui – et on le doit en partie à Lovecraft.
Dans Dagon, un officier de Marine rapporte ce qu’il a vu. Ou ce qu’il a cru halluciner. Sur une île inconnue des cartes, il a aperçu une créature titanesque reposant sur un monolithe, vestige d’une civilisation ancienne. Pourquoi est-ce que je ne commence pas par Cthulhu et sa cité sous-marine ? Parce que dans Dagon et dans la majorité de l’œuvre lovecraftienne, les êtres sont peu décrits, contrairement à Cthulhu avec ses tentacules. En fait, H.P s’est fait le maître de deux registres bien différents, qui fascinent ou parfois rebutent chez certains lecteurs : l’horreur esquissée et l’ultradescriptif.
L’horreur est ébauchée à
travers la folie des personnages qui ont perdu repères et santé mentale en
découvrant que l’univers est bien plus vaste qu’ils ne le voudraient. Aux yeux
de l’auteur, les humains ne méritaient pas d’être au centre d’une histoire
à cause de leur insignifiance absolue dans l’immensité du cosmos. Lovecraft
a créé l’horreur cosmique : la compréhension des limites de l’humanité.
Face à un Shoggoth, l’Homme ne peut survivre et s’il réchappe de sa
rencontre avec l’Indescriptible comme dans Les Montagnes
Hallucinées (ou de la Folie), son esprit ne peut le supporter.
A l’image de l’officier de marine dans Dagon, il se tourne vers la drogue ou le
suicide…
« La chose la plus Miséricordieuse en ce bas monde est bien, je crois, l’incapacité de l’esprit humain à mettre en relation tout ce qu’il contient. Nous habitons un paisible îlot d’ignorance cerné par de noirs océans d’infini. […] Un jour viendra, où la conjonction de tout ce savoir disparate nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur la réalité et sur l’épouvantable place que nous occupons, que nous ne pourrons que sombrer dans la folie. »
H.P Lovecraft, L’Appel de Cthulhu
La force du Mythe est
dans la suggestion. Si je peux comprendre ce que je vois, je ne suis plus
effrayé. La peur nait du mystère, de cette fine frontière entre
insondable et réalisation de la vérité. Décrire, humaniser une créature, c’est
la rendre compréhensible, c’est nous donner l’illusion d’être sain d’esprit.
Crédits : Azathoth selon Loïc Muzy
C’est cette même suggestion qui nous pousse à lire et relire l’œuvre de Lovecraft : notre imagination cherche des détails qui nous sont inaccessibles, tout en se baignant dans la fascination clairement morbide. GLUCKSMANN (1966) dans son travail sur le cinéma d’horreur, annonçait déjà que cette curiosité pour le morbide est connue et analysée depuis longtemps. C’est un sentiment « d’attraction – répulsion » irrationnel, mais qui existe bel et bien.
Il y a quelque chose de
jouissif à vivre cette folie par procuration. En sortant d’une nouvelle
d’H.P Lovecraft on est soulagé d’être en vie et sain d’esprit. Le plaisir de
lecture de Lovecraft est le plaisir de se sentir privilégié.
«L’être humain a cette particularité extraordinaire
de pouvoir éprouver des émotions alors qu’il sait qu’elles se rapportent à des
fictions »
Frank Lafond, Cauchemars américains – Fantastique et horreur dans le cinéma moderne
Le lecteur est, à la
fois, horrifié et fasciné par le spectacle de l’horreur qui s’offre à lui. Autant il peut
s’identifier aux souffrances de la victime et avoir de l’empathie pour
elle ; autant il peut prendre plaisir à regarder le spectacle de l’horreur
ainsi que la déchéance de cette dernière, dans une forme de
« sadomasochisme spectatoriel » (LAFOND).
Cette empathie est une
force dans les nouvelles : on s’identifie en quelques lignes, on frissonne,
on sourit aux mots d’esprits et on panique en même temps que le
« héros ». Le Cauchemar d’Innsmouth est emblématique de cette
qualité d’écriture. Je me souviens encore des battements de mon cœur qui
accélèrent en même temps que ceux de Robert Olmstead quand il réalise peu à peu
qu’il est pris au piège, entourés d’hommes à la morphologie monstrueuse et
qu’il est au cœur de quelque chose qui le dépasse.
Au fil des années, le mythe a évolué et pris de
l’ampleur grâce à la contribution de nombreux écrivains. Lovecraft a créé un
monde gigantesque tout en restant suffisamment vague, tant au niveau des
détails que des descriptions, laissant ainsi la place à l’imagination et
conférant une grande liberté aux artistes désireux d’incorporer ses idées à
leurs œuvres : c’est le Mythe lovecraftien ou le Mythe de Cthulhu.
Cthulhu n’est que
l’arbre qui cache la forêt. Le problème aujourd’hui est que la culture
populaire a transformé les histoires lovecraftiennes en des… tentacules. Cthulhu
est le seul Grand Ancien à être décrit avec moults détails, ce qui a dénaturé
le mythe. Finalement, il n’est pas tant représenté que cela dans le mythe.
Il est un Être parmi tant d’autres et est loin d’être le plus puissant !
Lovecraft a créé une œuvre de Science-Fiction peuplée de mythes et de légendes avec comme toile de fond un cosmos infini en termes de temps et d’espace, rempli de forces contraires et surpuissantes à l’échelle humaine. C’est cette fascination pour la mythologie et les histoires que Lovecraft cultive dans beaucoup de ses œuvres. Il laisse traîner le nom d’une cité, d’un dieu, d’une espèce alien et titille notre goût du mystère. A l’image d’un Jack Vance (Tchaï, Terre Mourante), il laisse faire notre imagination pour combler les vides. C’est cette non-profondeur ou ce « vide fertile » qui permet au lecteur de se créer un panthéon et les formes que peuvent prendre ces divinités.
Crédits : Rhan-Tegoth sur son trône par Borja Pindado
Le mythe est notre manière
à nous de donner une explication cohérente et vraisemblable des événements que
subissent les personnages. Et les représentations et les cultures possibles
et imaginables stimulent l’enfant en nous. L’atmosphère fait tout le sel
des nouvelles de l’auteur : un bas-relief étrange, un autel poussiéreux,
des artefacts plus anciens que l’Humanité… Nous créons notre propre monde
lovecraftien avec les bribes d’histoires que l’auteur nous laisse. Et bien
souvent, ce monde est rempli de cauchemars.
Là où Lovecraft détaille
le plus son univers, c’est à travers les fresques anciennes des cités oubliées
ou dans la folie des prophètes. On se laisse bercer par les enjeux
titanesques de races éteintes. Les Montagnes Hallucinées sont
remplies de ces récits fictifs qui donnent un semblant d’explication de la
présence d’une cité aux dimensions inhumaines au cœur de l’Antarctique.
Crédits : François Baranger dans Les Montagnes Hallucinées
Le lecteur s’approprie
un univers et est séduit par l’histoire « possible » de notre Terre. C’est pour cela que
les récits sur l’Atlantide nous plaisent toujours autant : on veut croire
à une autre Histoire. A bien des égards, le mythe de Cthulhu reprend les
codes de la légendaire Atlantide : l’humanité encore presque sauvage
dominée par des peuples supérieurs en technologie et en esprit, des dieux
capables de déclencher des cataclysmes, une histoire perdue, des sectes à la
recherche de ce pouvoir ancestral.
Lovecraft touche à notre
fibre de fan de fantasy dans nombre de ses récits en créant des cités inspirées
de notre mythologie. La Cité Sans Nom est une cité de pierre
oubliée au cœur de l’Egypte :
« Je me représentai en esprit les splendeurs d’un
âge reculé, bien antérieur à la Chaldée, et pensai à Sarnath la Maudite qui se
dressait dans le pays de Mnar aux premières heures de l’humanité, ainsi qu’à sa
rivale Ib, taillée dans la pierre grise avant l’avènement des hommes. »
H.P Lovecraft, La Cité Sans Nom
Les ruines nous attirent
comme le fragment d’une mosaïque que l’on rêve de reconstituer. C’est cette
progression qui fait la force du mythe : cette envie que l’on a de
rassembler les pièces du puzzle pour aboutir à un panthéon clair et unifié.
Crédits : Armel Gaulme dans "La Cité sans Nom"
Plus on explore les légendes contenues dans les nouvelles, plus on est saisi par les possibilités. De Nyarlathotep qui joue et manipule les humains en passant par Azathoth le Chaos au centre de l’univers, l’immensité du mythe est un vrai terrain de jeu pour notre esprit et celui des continuateurs du mythe qui n’hésitent pas mélanger les univers.James Blish en essayant d’écrire la pièce qui rend fou du Roi en Jaune de Chambers, décrit un être purement lovecraftien qui révèle des secrets indicibles et terrifiants. Les artistes sont inspirés par la beauté de ces révélations morbides qui rendent l’expérience humaine vide de sens et insignifiantes :
« Il n’a pas de visage et fait deux fois la
taille d’un homme. Il porte des chaussures à bout pointu sous sa robe en
lambeaux d’une couleur magnifique et une bande de soie semble flotter depuis le
bout pointu de sa cagoule… Parfois il semble avoir des ailes. A d’autres
moments, il semble entouré d’un halo ».
James Blish, More Light
Crédits : Le Roi en Jaune par Loïc Muzy
En créant un univers
profond mais ouvert, H.P Lovecraft laisse l’opportunité à tous de construire sa
propre horreur. Notre imagination est mise à rude épreuve face à l’immensité du
Mythe lovecraftien et la qualité littéraire en fait un chef d’œuvre pas
simplement de la littérature de l’horreur mais de la Littérature avec un grand
L.
Personnellement, je n’ai
pas commencé par L’Appel de Cthulhu, c’est loin d’être nécessaire. Cette
nouvelle n’est pas sa première, ni la meilleure mais elle pose les jalons de
l’univers : la folie progressive des personnages, un être titanesque et
des légendes de créatures au bout du monde. Cette nouvelle est une étape
obligée mais pas tout de suite. Je vous propose ici plusieurs nouvelles
selon votre envie du moment et votre affinité avec un genre !
Pour ceux qui aiment se faire
peur :
Chuchotements dans la nuit :
Une inondation dans l’Etat du Vermont révèle la
présence de créatures étranges draguées par les eaux. Un professeur
d’université s’intéresse à ces êtres que les photos n’arrivent pas à saisir et
dont on trouve des empreintes dans la boue. Il échange avec un habitant de la
région qui affirme avoir la preuve de la présence d’êtres monstrueux dans les
collines. Peu à peu leur correspondance dévoile l’indicible.
Je ne peux que recommander la pièce radiophonique de France Culture qui retranscrit magnifiquement l’ambiance de la nouvelle et l’enregistrement de ces « chuchotements dans la nuit » vont vous hérisser les poils ! (Cliquez sur l’image pour retomber dessus)
Pour ceux qui aiment le malaise dans
la lecture :
Pickman’s model :
Une nouvelle extrêmement courte qui suit l’ami
d’un artiste, Pickman, dont les œuvres sont splendides mais qui dérangent tant
qu’il s’est fait radier du Club artistique de Boston. Cette nouvelle est une
plongée dans la peinture horrifique et dans l’esprit tordu d’un artiste fou
quand le narrateur se rend dans l’atelier de l’artiste. La progression du récit
vous mettra malaise jusqu’à sa conclusion. La tension est réellement
insoutenable, comme dans Le Cauchemar d’Innsmouth.
Pour les fans
d’action/enquête :
Le Cauchemar d’Innsmouth :
Un jeune homme se retrouve malencontreusement
bloqué dans la ville côtière d’Innsmouth, où les habitants sont étranges et le
mettent mal à l’aise. Ils ont des allures de poissons ou de batraciens et un
temple étrange trône au coeur de la ville. Il va mener l’enquête discrètement
et découvrir les dessous d’une ville abandonnée par les autorités américaines…
C’est, selon moi, la
meilleure nouvelle de l’auteur. Le suspense est haletant et la tension est palpable. Rappelez-vous ces 4 mots et
vous me remercierez plus tard : « la scène de l’hôtel » !
Pour les fans de world-building et
de légendes :
Les montagnes hallucinées & La Cité
sans nom :
(Ici, la version illustrée de François Baranger)
Que cela soit en Antarctique ou au cœur du désert
égyptien, Lovecraft propose dans ces deux chefs-d’œuvre des descriptions de ce que
fut la Terre avant l’Homme, sous le règne de créatures mythiques et anciennes
(parfois venues des Etoiles). A travers les yeux d’un explorateur, on découvre
des civilisations anciennes qui raviront les lecteurs friands de légendes et de
passés mythiques.
Pour les fans de fantasy :
La Quête onirique de Kadath l’inconnue :
Randolph Carter rêve par trois fois d'une
majestueuse cité au coucher de soleil, mais chaque fois il est brutalement
arraché du rêve avant d'en voir plus. L’un des romans de Lovecraft les plus
fournis en termes de détails et de civilisations anciennes et oniriques. On y
croise notamment des chats capables de se rendre sur la Lune, des goules et des
zoogs, ces êtres aux allures de rongeurs qui se tapissent dans l’ombre à
l’affût de proies à manipuler…
Pour les fans de SF :
La Couleur venue d’ailleurs / La Couleur
tombée du ciel :
Un jeune architecte entend parler d'une légende
qui court à propos d'étranges événements qui se seraient produits au fond de la
campagne américaine. D’abord sceptique, il découvre une terre dévastée, rongée,
comme si la terre était corrompue. Lorsqu'il se renseigne sur les causes
possibles de cet état de fait, il entend parler d'une étrange météorite tombée
du ciel et qui aurait rendu fou une famille de fermiers.
Je recommande FORTEMENT la pièce radiophonique de France Culture pour l’ambiance et le jeu des acteurs qui est incroyable ! (Cliquez sur l’image pour retomber dessus)
Dans l’abîme du temps :
Nathaniel Wingate Peaslee est amnésique. 4 ans de
sa vie lui ont été volés par une race extraterrestre qui lui aurait parasité
l’esprit, lui laissant des souvenirs flous et des connaissances sur le passé de
l’humanité. Ses rêves sont peuplés de visions étranges. Chaque rêve débloque
une nouvelle facette de l’univers et nous dévoile la race extraterrestre de
Yith, êtres pourvus d’un corps conique et de tentacules à la recherche
perpétuelle de nouveaux savoirs ! Une belle pépite SF !
J’espère vous avoir donné envie de (re)découvrir le
maître de l’horreur cosmique et de visiter cet univers qui ne se limite pas à
un dieu à face de poulpe mais qui est parmi les plus riches de la fantasy et de
la science-fiction, et surtout qui continue de grandir chaque année !
Pour rappel, les textes de H.P Lovecraft sont libres de droit MAIS PAS LES TRADUCTIONS ! Si vous cherchez de beaux livres, je ne peux que vous conseiller le travail de la maison d'édition Bragelonne : https://www.bragelonne.fr/auteurs/h-p-lovecraft/ (Ils ont plusieurs formats qui conviennent aux petites et grandes bourses)
Misez sur les "Carnets Lovecraft"d'Armel Gaulme qui sont remplis de dessins accompagnant les nouvelles !
Et pour les grands fans, attendez un peu l'arrivée de l'édition collector chez Mmémos : https://www.mnemos.com/catalogue/lovecraft-lintegrale-prestige/
A très vite pour de nouveaux dossiers !
Je parlais plus haut
d’horreur, mais une bien particulière, celle cosmique, celle de la petitesse de
l’Homme face à des êtres innommables et indifférents. Il faut comprendre
qu’au moment où Lovecraft écrit L’Appel de Cthulhu ou encore le
Cauchemar d’Innsmouth, les récits de terreur ennuient ou sont
« génériques ». L’horreur se limite aux histoires de vampires, de
fantômes ou de maisons hantées : des choses qui nous paraissent clichées
aujourd’hui – et on le doit en partie à Lovecraft.
Dans Dagon, un officier de Marine rapporte ce qu’il a vu. Ou ce qu’il a cru halluciner. Sur une île inconnue des cartes, il a aperçu une créature titanesque reposant sur un monolithe, vestige d’une civilisation ancienne. Pourquoi est-ce que je ne commence pas par Cthulhu et sa cité sous-marine ? Parce que dans Dagon et dans la majorité de l’œuvre lovecraftienne, les êtres sont peu décrits, contrairement à Cthulhu avec ses tentacules. En fait, H.P s’est fait le maître de deux registres bien différents, qui fascinent ou parfois rebutent chez certains lecteurs : l’horreur esquissée et l’ultradescriptif.
L’horreur est ébauchée à
travers la folie des personnages qui ont perdu repères et santé mentale en
découvrant que l’univers est bien plus vaste qu’ils ne le voudraient. Aux yeux
de l’auteur, les humains ne méritaient pas d’être au centre d’une histoire
à cause de leur insignifiance absolue dans l’immensité du cosmos. Lovecraft
a créé l’horreur cosmique : la compréhension des limites de l’humanité.
Face à un Shoggoth, l’Homme ne peut survivre et s’il réchappe de sa
rencontre avec l’Indescriptible comme dans Les Montagnes
Hallucinées (ou de la Folie), son esprit ne peut le supporter.
A l’image de l’officier de marine dans Dagon, il se tourne vers la drogue ou le
suicide…
« La chose la plus Miséricordieuse en ce bas monde est bien, je crois, l’incapacité de l’esprit humain à mettre en relation tout ce qu’il contient. Nous habitons un paisible îlot d’ignorance cerné par de noirs océans d’infini. […] Un jour viendra, où la conjonction de tout ce savoir disparate nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur la réalité et sur l’épouvantable place que nous occupons, que nous ne pourrons que sombrer dans la folie. »
H.P Lovecraft, L’Appel de Cthulhu
La force du Mythe est
dans la suggestion. Si je peux comprendre ce que je vois, je ne suis plus
effrayé. La peur nait du mystère, de cette fine frontière entre
insondable et réalisation de la vérité. Décrire, humaniser une créature, c’est
la rendre compréhensible, c’est nous donner l’illusion d’être sain d’esprit.
Crédits : Azathoth selon Loïc Muzy
C’est cette même suggestion qui nous pousse à lire et relire l’œuvre de Lovecraft : notre imagination cherche des détails qui nous sont inaccessibles, tout en se baignant dans la fascination clairement morbide. GLUCKSMANN (1966) dans son travail sur le cinéma d’horreur, annonçait déjà que cette curiosité pour le morbide est connue et analysée depuis longtemps. C’est un sentiment « d’attraction – répulsion » irrationnel, mais qui existe bel et bien.
Il y a quelque chose de
jouissif à vivre cette folie par procuration. En sortant d’une nouvelle
d’H.P Lovecraft on est soulagé d’être en vie et sain d’esprit. Le plaisir de
lecture de Lovecraft est le plaisir de se sentir privilégié.
«L’être humain a cette particularité extraordinaire
de pouvoir éprouver des émotions alors qu’il sait qu’elles se rapportent à des
fictions »
Frank Lafond, Cauchemars américains – Fantastique et horreur dans le cinéma moderne
Le lecteur est, à la
fois, horrifié et fasciné par le spectacle de l’horreur qui s’offre à lui. Autant il peut
s’identifier aux souffrances de la victime et avoir de l’empathie pour
elle ; autant il peut prendre plaisir à regarder le spectacle de l’horreur
ainsi que la déchéance de cette dernière, dans une forme de
« sadomasochisme spectatoriel » (LAFOND).
Cette empathie est une
force dans les nouvelles : on s’identifie en quelques lignes, on frissonne,
on sourit aux mots d’esprits et on panique en même temps que le
« héros ». Le Cauchemar d’Innsmouth est emblématique de cette
qualité d’écriture. Je me souviens encore des battements de mon cœur qui
accélèrent en même temps que ceux de Robert Olmstead quand il réalise peu à peu
qu’il est pris au piège, entourés d’hommes à la morphologie monstrueuse et
qu’il est au cœur de quelque chose qui le dépasse.
Au fil des années, le mythe a évolué et pris de
l’ampleur grâce à la contribution de nombreux écrivains. Lovecraft a créé un
monde gigantesque tout en restant suffisamment vague, tant au niveau des
détails que des descriptions, laissant ainsi la place à l’imagination et
conférant une grande liberté aux artistes désireux d’incorporer ses idées à
leurs œuvres : c’est le Mythe lovecraftien ou le Mythe de Cthulhu.